Wednesday, June 13, 2007

À Bologne, j'y étais (Hélèna Villovitch)









À BOLOGNE, J’Y ÉTAIS






Je m’appelle Hélèna Villovitch et à Bologne, j’y étais. J’étais déjà, trois jours avant le spectacle, à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle quand la Sécurité a refusé à la troupe d’embarquer un sac contenant un marteau en mousse, des massues de jonglage, un couteau factice et des os en plastique. Une dame adorable criait en italien « la vie c’est du spectacle », ou bien « le spectacle c’est la vie », je ne sais plus lequel des deux. J’ai remarqué qu’une couronne dorée passait de tête en tête sans que cela ne pose aucun problème protocolaire. On était en monarchie démocratique.

J’étais dans la Via Galliera la nuit précédant la représentation. Le metteur en scène français Yves-Noël Genod demandait aux gens « Qui veut coucher avec ma femme ? ». Je crois même que sa femme, c’était moi. J’y étais quand il a montré ses fesses à un policier. « Tu es sûre que c’était un policier ? ». J’y étais quand, nu sur la terrasse de la résidence, il interprétait « lasciate mi cantare ».

Je n’y étais pas (il m’a raconté) quand il a expliqué (de bonne foi) à Silvia, l’organisatrice du festival « Today is okay » que j’étais la personne parfaite pour filmer en vidéo la représentation, puisque j’avais étudié le cinéma dans une école et réalisé des films ; si j’avais été là, j’aurais protesté parce que je n’ai rien étudié du tout et que je n’ai pas fait de nouveau film depuis plusieurs années. En revanche, j’écris des livres de fiction et des articles pour le magazine ELLE. Parfois, pour ELLE, j’écris un article en forme de « J’y étais ». Par exemple, j’ai écrit un « J’y étais » au sujet de la performance « Cut Piece » de Yoko Ono à Paris qui m’a bouleversée. Oui, je suis une personne que bouleverse le travail de certains artistes. Par exemple Yoko Ono (on l’aura compris), mais aussi Tsuneko Taniuchi, David TV, Danos, Hendrik Hegray. Et Yves-Noël Genod. Ce qui m’attire dans leur travail, c’est le danger, la fragilité, le frisson de peur qu’ils font partager au spectateur. Et si ça allait être complètement raté ? Et si rien ne se passait ? Et si l’univers qu’ils ont créé disparaissait en une seconde ?

Quand j’arrive à l’Ex Conservatoria Registri Immobiliari, le chauffeur de taxi me dit que le lieu est fermé ; il se trompe. Au milieu des tours éteintes, après la pyramide tronquée surmontée d’un parallélépipède allongé en référence horizontale aux tours verticales héritées du Moyen-âge, dans une salle éclairée par des néons, se joue un spectacle.

Lorsque commence Elle court dans la poussière, la rose de Balzac, je suis terrorisée. Pas lui, pas eux. Ils sont fiers et courageux. Mais moi, j’ai peur que tout explose dans une gerbe de paillettes et de fumée. Je me dis bon, tant mieux, le monde va s’écrouler et ce sera magnifique, quel bonheur d’y assister. J’avoue que j’ai une forte tendance à l’anxiété. Mais, d’autre part, l’idée de la catastrophe ne me fait pas fuir. C’est compliqué.

Non, c’est tout simple, en fait. Un enfant magicien fait apparaître des fleurs, puis danse sur une table les fesses à l’air comme la petite danseuse d’une boîte à musique. Un monstre tente de l’intimider mais la connaissance intime qu’a l’enfant des forces de la nature lui permet de prend le dessus. C’est une fable panthéiste. Les deux jouent à se donner des ordres, à s’obéir puis à se désobéir, à se courir l’un après l’autre, à s’attacher, à se faire enrager. Ce sont Tom et Jerry, le loup et l’agneau, Léda et le cygne.

À un moment, le monstre à tête de diable devient une jeune fille écervelée. Une fée en sweat-shirt l’a transfigurée. Une robe bleue flotte dans les airs. Des chaussures se promènent toutes seules. Le sol brille. Oui, tout brille et tout s’éclaire.

À un moment, l’enfant dit : « Everybody needs a mother. Everybody needs a father. Everybody needs an appointment with a girl. » He’s right, à mon avis. L’enfant est un vieux sage.

Dans le public, un chien qui comprend tout s’avance tant et tellement qu’il finit par se retrouver sur la scène. C’est son quart d’heure, il est ému. Moi aussi.

Dans le public encore, une personne qu’on désigne comme « l’Ambassadeur » n’aime pas la pièce. Je voudrais qu’il s’avance pour mieux voir.

J’y étais et j’y suis encore au moment où j’écris ces lignes, à Paris, à équidistance entre les deux tours de l’élection présidentielle, et que l’orage menace de faire imploser mon ordinateur. Si je me débranche, je vis sur ma réserve et mon temps est compté. Si on veut lire un texte théorique sur le théâtre, on peut déchirer cette page. Moi, sur ce spectacle, je ne peux écrire qu’un texte sous influence. Inspirée, expirée, aspirée, H.V., Paris, 29 avril 2007.



Elle court dans la poussière, la rose de Balzac avec Marcus Vigeron-Coudray, Marlène Saldana, Sylvie Coudray mise en scène par Yves-Noël Genod.

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