On a vu le cygne
On a vu le cygne faire longuement sa toilette, devant le château de Chantilly. Dressé sur ses pattes, l’eau reflétait par en dessous le feu du soleil. La grosse meringue de son corps emplumé semblait brûler ad libitum. J’ai raconté à Hélèna la difficulté que j’avais eue de décrire l’eau du lac, en Suède, comme une nappe d’huile, de pétrole, argentée comme du mercure et qui faisait des vaguelettes, comme les vagues lourdes d’un miroir, quand j’y évoluais. Elle semblait comprendre, tel que j’en parlais. Ah bon ? Et les rochers, lourds coussins, comme ils s’enfoncent par capillarité, brutalement et soumis, totalement, sournoisement consentants, depuis des lustres, dans l’eau de mercure. Les joncs étaient comme des flèches plantées verticalement. « Une tortue dans le pétrole », avais-je pensé, selon le mot étrange de Rimbaud devant l’incendie de Charleville. Hélèna (mon amour) m’a dit qu’elle ne savait pas décrire la nature, qu’elle avait essayé une fois pour les Rocheuses en Amérique (pour l’utiliser pour une de ses nouvelles dans Dans la vraie vie). Elle m’a dit aussi qu’elle ne comprenait pas ce qu’on voulait dire quand on employait le mot « Dieu », que c’était ringard. Là, ça m’était facile de lui prouver le contraire. Par a plus b. En deux coups de cuillère à pot, elle est ressortie convaincue. C’est mon truc, Dieu. C’est le truc de tout le monde, je trouve. C’est ma thèse. Le secret le mieux partagé (puisqu’il l’est par tous). Le soir, j’ai regardé ce qu’il restait de sa description des Rocheuses dans sa nouvelle des deux copines, dans la vraie vie…
Yves-Noël Genod. 10 juin 2007 (Prix de Diane.)
Yves-Noël Genod. 10 juin 2007 (Prix de Diane.)
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