L e Nombril du monde
« Je chanterai pour toi la chanson de ce garçon qui se promenait seul dans la vie et dans le monde.
Car ce garçon, c’est moi. »
J’avais fait mourir Legrand pour qu’on ne le voit pas fané sous la dentelle, fané sous la dentelle (A mourir pour mourir). Maintenant son fantôme avait toujours 20 ans. De son vivant, il m’était toujours apparu. Apparu comme un vivant. Maintenant, c’était encore plus facile. Plus rien que le jeu des apparitions/disparitions qui étaient plutôt, je l’ai dit, des dilutions atmosphériques, une légère brume, un crachin, une humidité localisée. Ce que les témoins nommaient : « sensualité ». Je ne sais plus quel philosophe ou poète avait proposé que l’expérience (la sagesse) consistât sans doute à atteindre l’étonnement. C’est vrai, les bébés sont dans l’étonnement, mais les vieillards… J’en étais consciente, en tout cas. Le fantôme de Legrand qui m’accompagnait sensuellement étonnait mes amis (mes autres amis, les témoins de Jéhovah) qui me prenaient en aparté : « Mais il t’aime… » « Vous êtes très proches… » Oh, non, non, non, toi, mon Régis, ne va pas croire ça, il n’aime que les filles, Legrand… Les vraies… Les jeunes, les flottantes, les fuyantes, les retrouvées, les passantes… Je connais ses goûts… Nous n’avons que des relations de voisinage… un peu sensibles, c’est vrai… L’autre jour, chez lui, j’ai feuilleté un beau livre sur Rembrandt, ç’avait été son livre de chevet, me disait-il, pendant longtemps (du temps de son vivant), un livre superbe qu’il avait trouvé chez Emmaüs pour 5€, Rembrandt et la Bible… C’était, mis en vis-à-vis, des passages de la Bible sur lesquels Rembrandt avait travaillé toute sa vie et les dessins, les peintures sublimes, jusqu’à la dernière, proche de Turner… un très gros livre sublime… « C’est comme ça que j’ai lu la Bible », m’avait suggéré le fantôme de Legrand en slip, ce jour-là en slip, une des plus belles journées de juin… de mai… je ne sais plus… Je
lui avais fait très peur, à mon fantôme, en entrant brusquement chez
lui sans prévenir, sans frapper, brusquement car j’espérais toujours le surprendre
dans une occupation sexuelle (bien sûr, on ne se refait pas) et Legrand — bien sûr — ne fermait jamais sa porte...
Legrand ne fermait jamais la porte
J’avais trouvé un titre dans le livre d'art — si jamais Philippe Quesne me reprogrammait un spectacle...
DAIGNE ME RETIRER LA VIE
« Et maintenant, traite-moi comme il te plaira, daigne me retirer la vie : je veux être délivré de la terre et redevenir terre. » (Tobit 3)
J’avais essayé de photographier Legrand, mais ça ne donnait rien, on ne photographie pas les fantômes… Ou peut-être n'étais-je pas devenue encore assez femme... Sarah Moon, Dominique Issermann pouvaient le faire, assurément, d’autres dont j’oubliais les noms, Dolores Marat, Sally Mann… Des femmes, des femmes photographiaient les fantômes… Justement DI m’envoyait à l’instant des photos qu’elle avait faites d’un spectacle que j’avais donné dans la grotte d’un parc à Versailles...
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Le monde autour de moi me demande des efforts
Tous ces textes qui disaient « je », qui s’exaltaient
J’entendais maintenant le vent, le même vent que
le vent
Et puis les voix comme dans importe quelle autre
partie du monde
Ne prenons pas de tramway, j’ai peur de vous per
dre
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« J’adore l’idée que la journée se termine vraiment lorsqu’elle a été racontée »
dit Sylvain Tesson. Je suis seule. Je m’oublie. L’heure est propice. L’heure est calme.
Byron se répétait, dit-on, tous les matins de sa vie courte et dense : « Again to sea ! »
Romeo (acte III, scène 5) : « I must be gone and live, or stay and die. »
Et le Christ : « Viens et suis-moi. »
Rimbaud : « Je vais acheter un cheval et m’en aller. »
Des phrases de l’éternel départ
la Bibliothèque est terrifiante
« Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage »
La certitude est le contraire de la littérature
La pierre, la prière
Mais ça va, je suis capable de descendre dans la rue et de trouver que le temps est beau — et m’émerveiller même de la diversité des visages — et remarquer les enfants qui sont dehors comme dans la vie
Je suis capable de n’avoir aucun projet
Je cherche à me retrouver inconnue et j’y crois — que je pourrais, demain, me réveiller ivre, neuve, fringante