Monday, June 02, 2025

L e Nombril du monde


Le lendemain du match, je faisais mes courses comme une parfaite petite ménagère en ménage imaginaire avec Legrand, heureuse, comblée, ensoleillée et, devant le Monoprix, voilà que je suis soudain apostrophée par un « C’est un sacré nombril que vous avez là, Madame ! » J’étais en short, bon, ma chemise étant un peu ouverte, peut-être (je le constatais à mon retour), bref, du tac au tac, de plain-pied, je renvoyais à l’apostropheur, un brave garçon qui avait lui aussi gagné le match hier, ma joie de vivre et mon plus immense sourire ! Avec moi, vous aurez le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière par-dessus le marché. Tu sais parler aux dames, toi ! Depuis que j’ai changé de genre, dans ce quartier où j’ai été tellement — mais toute ma vie ! pas une semaine sans que — attaquée, insultée, menacée, détruite comme à la guerre, je me sens maintenant, j'ose à peine l'écrire, protégée. Je croise les doigts, mais je me sens — et, dans les faits, c’est réel aussi —, oui, acceptée, aussi absurde que cela paraisse (à ma grande surprise). Dans mon quartier, La Chapelle, je découvre qu’on respecte les trans. Même les moches comme moi. Les celles qui font pas tellement d’efforts, quoi. Et puis, il y a peut-être autre chose. Un homme dit à une femme vraie prise au hasard la phrase plus haut, au mieux, il se fait ignorer, rabrouer, au pire il se retrouve avec un metoo collé aux fesses. Elles en ont trop marre d’être sexualisées, les meufs. Une question de quantité peut-être, trop c’est trop. Mais, à une trans, il obtient la tendresse, le gosse. Il y a peut-être — aussi — que je me sens mieux dans ma peau, plus ouverte et que tout le monde en profite, de mon petit bonheur de quartier. Il y a peut-être que j'ai rejoint la communauté des pauvres gens, des gens rejetés, une sorte d'entraide. Mais c’est quand même dans mon quartier que je découvre, ce que je n’avais pas connu jusqu’à maintenant, la politesse. Oui, appeler une trans « Madame » et lui faire un compliment sur son physique, c’est ce que j’appelle la plus belle des politesses — des lendemains de match victorieux...
 
 
 

« Je chanterai pour toi la chanson de ce garçon qui se promenait seul dans la vie et dans le monde.
Car ce garçon, c’est moi. »

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Sunday, June 01, 2025

C ombien pour ce chien (dans la vitrine)

 
Il y aurait match pendant l’orage. Ça allait être très chaud. Je conseillais à Legrand de retourner au café de la Gare. Il faut battre le fer quand il est chaud. J’avais laissé ma veste à Legrand, il allait me la réparer. Il aimait coudre. Ça le calmait. J’avais grossi. Legrand me lisait une histoire de Jean-Jacques Rousseau où une jeune fille était grosse. Ça voulait dire qu’elle était enceinte. Le café de la Gare n’était pas à un endroit où il y avait une gare, peut-être dans le temps. Non, le café de la Gare semblait comme téléporté, transplanté. De province à ici. Beaucoup de charme. Un rond-point. Un sale rond-point avec des rosiers avec des adventices qui les recouvraient, les étouffaient, je m’étais approchée, j’avais traversé. J’avais dansé, j’étais en forme subitement. J’étais folle. Le petit Argentin m’avait appris un rythme espagnol. C’est quand j’avais renoncé à comprendre que j’avais compris. Il y avait une terrasse vide en bois, on avait tapé des talons jusqu’à plus soif, les autres s’étaient plaints, ça leur cassait les oreilles, mais le petit Argentin s’y connaissait à casser les oreilles (il hurlait) et, moi, à ce moment-là, j’étais en forme. J’aimais l’Espagne, j’aurais voulu chanter, du flamenco ou du fado… Je sais, c’est pas l’Espagne (le fado). Quand on était arrivés, un petit groupe d’une chanteuse en rose et d’un musicien baraqué (il s’était approché à la fin) tenait le bar presque vide. Une jeune femme avait des fleurs sur la table et pleurait. C’était cette femme que Legrand voulait revoir. La situation était romanesque. Elle avait dit à un moment : « Non, je suis triste et joyeuse, mais je veux boire un verre de plus ». Elle avait l’air de ne pas avoir de jupe, juste une veste — et les fleurs qu’on lui avait offertes dans la vie. Au café de la gare imaginaire...

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Saturday, May 31, 2025

D aigne me retirer la vie


J’avais fait mourir Legrand pour qu’on ne le voit pas fané sous la dentelle, fané sous la dentelle (A mourir pour mourir). Maintenant son fantôme avait toujours 20 ans. De son vivant, il m’était toujours apparu. Apparu comme un vivant. Maintenant, c’était encore plus facile. Plus rien que le jeu des apparitions/disparitions qui étaient plutôt, je l’ai dit, des dilutions atmosphériques, une légère brume, un crachin, une humidité localisée. Ce que les témoins nommaient : « sensualité ». Je ne sais plus quel philosophe ou poète avait proposé que l’expérience (la sagesse) consistât sans doute à atteindre l’étonnement. C’est vrai, les bébés sont dans l’étonnement, mais les vieillards… J’en étais consciente, en tout cas. Le fantôme de Legrand qui m’accompagnait sensuellement étonnait mes amis (mes autres amis, les témoins de Jéhovah) qui me prenaient en aparté : « Mais il t’aime… » « Vous êtes très proches… » Oh, non, non, non, toi, mon Régis, ne va pas croire ça, il n’aime que les filles, Legrand… Les vraies… Les jeunes, les flottantes, les fuyantes, les retrouvées, les passantes… Je connais ses goûts… Nous n’avons que des relations de voisinage… un peu sensibles, c’est vrai… L’autre jour, chez lui, j’ai feuilleté un beau livre sur Rembrandt, ç’avait été son livre de chevet, me disait-il, pendant longtemps (du temps de son vivant), un livre superbe qu’il avait trouvé chez Emmaüs pour 5€, Rembrandt et la Bible… C’était, mis en vis-à-vis, des passages de la Bible sur lesquels Rembrandt avait travaillé toute sa vie et les dessins, les peintures sublimes, jusqu’à la dernière, proche de Turner… un très gros livre sublime… « C’est comme ça que j’ai lu la Bible », m’avait suggéré le fantôme de Legrand en slip, ce jour-là en slip, une des plus belles journées de juin… de mai… je ne sais plus… Je lui avais fait très peur, à mon fantôme, en entrant brusquement chez lui sans prévenir, sans frapper, brusquement car j’espérais toujours le surprendre dans une occupation sexuelle (bien sûr, on ne se refait pas) et Legrand — bien sûr — ne fermait jamais sa porte... 

Legrand ne fermait jamais la porte

 
J’avais trouvé un titre dans le livre d'art — si jamais Philippe Quesne me reprogrammait un spectacle... 

DAIGNE ME RETIRER LA VIE

« Et maintenant, traite-moi comme il te plaira, daigne me retirer la vie : je veux être délivré de la terre et redevenir terre. » (Tobit 3)

J’avais essayé de photographier Legrand, mais ça ne donnait rien, on ne photographie pas les fantômes… Ou peut-être n'étais-je pas devenue encore assez femme... Sarah Moon, Dominique Issermann pouvaient le faire, assurément, d’autres dont j’oubliais les noms, Dolores Marat, Sally Mann… Des femmes, des femmes photographiaient les fantômes… Justement DI m’envoyait à l’instant des photos qu’elle avait faites d’un spectacle que j’avais donné dans la grotte d’un parc à Versailles...


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P ère-amant

 
Il y avait son fantôme physiquement dans le lit. J’étais heureuse
 
« Mais qu’est-ce qu’un fantôme sinon qqch qui ne veut pas ou ne peut pas mourir et qui n’a de cesse de vouloir revenir à la vie ? »
 
Avec Legrand, j’inventais le fantôme sensuel
 
« Toute représentation est un art spectral » (me souffle Bruno Perramant)
 
Il se trouve que c’était les journées de juin, les journées chaude, les journées belles ; les cloches sonnaient comme la guerre, mais c’était juste le mois de juin...
 
« Nous courons toujours après l’invisible, bien au-delà de la peinture, au-delà d’une barrière de feu, des voix, des corps, des images, et, malgré tout, c’est toujours devant le réel qu’on se retrouve »
 
Ça y est, je connectais avec mon rêve ; après des journées de cauchemars, il n’était pas malheureux

« Et le soleil qui s’amoncelle »
Tous les maîtres rêvent d’immortalité
 


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Cauchemar
À vélo
Sens dessus dessous
Au temps pour moi
Nous arrivons après qu’il est parti

Il y a un monde de tout-est-faux et c’est avec ce monde qu’il faut écrire, s’il faut écrire, mais personne ne prétend qu’il faille écrire…
Il fallait inventer que j’étais le centre du monde
Une toile de fond connue de tous devant laquelle la vie privée déroulait son spectacle (le spectacle captivant de ses aventures)
J’étais cette toile de fond
Oh, miracle ! la vie n’est que miracles
Absurdes miracles
Réfugiés, vous êtes réfugiés avec moi
et il n’y a pas de miracle
Le trésor de mon tourment ne permet
pas de vous confondre avec le monde

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Thursday, May 29, 2025

Le monde autour de moi me demande des efforts

Tous ces textes qui disaient « je », qui s’exaltaient
J’entendais maintenant le vent, le même vent que
le vent
Et puis les voix comme dans importe quelle autre
partie du monde

Ne prenons pas de tramway, j’ai peur de vous per
dre

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Monday, May 26, 2025

Oui, je vous écoute, il est encore tard et je vous écoute

J’aimerais parcourir l’Italie, c’est clair, j’aimerais cela. J’aimerais errer en Italie, j’aimerais passer du temps, dépenser du temps en Italie. J’aimerais être jeune, mais, même sans l’être, j’aimerais passer du temps en Italie, oui, me perdre en Italie, ne plus savoir vraiment dans quelle ville du Nord ou du Sud de l’Italie — ou du milieu ou du bord — je me trouve, dans quel film, dans quelle époque, confondre un peu, me retenir de sombrer pour vivre encore en Italie

Je me projetais encore dans Legrand ; je me rendais compte qu’une de mes possibilités étaient encore cette projection vers Legrand
Legrand n’était pas le dernier ennui de ma vie, il en était encore l’espoir, l’un des espoirs, la tentation de joie

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J ules

 
J’allais me plonger dans l’eau, j’allais vivre une embuscade, j’allais délaisser les livres, j’allais retrouver Legrand
Legrand n’était plus que dispersé dans l’air de Paris, on ne se voyait plus, mais je ne pleurais pas, il m’avait tant donné du temps de son vivant ; je reconnaissais ses traces, partout (il faudrait que je lise ce livre (il y en a tant qu’on n’a pas lus), Nadja), je l’avais « perdu de vue », quelle belle expression ! Et c’était comme si je lui disais si j’avais pu lui dire : « Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous ». C’était le dernier vers d’un très beau poème dédié à un ami, Jules Tellier… Je vous ai dit de qui ? Oh ! de Verlaine…



De n’être plus rivée à Legrand laisse aussi beaucoup d’espace. Approchez, nouvelles idoles, votre temps est venu
Venez pour moi remplacer la nature



Jules Tellier, jeune poète (ont-ils couché ?) est mort à 26 ans, de la fièvre typhoïde quelques mois après que Verlaine lui ait dédié son poème



Quand je vous vois de face et penché sur un livre
Vous m’avez l’air d’un loup qui serait un chrétien,
Pardon, rectifiez : qui serait un païen,
En tous cas d’un loup peu garou qui saurait vivre.

Je vous vois de profil : un faune m’apparaît,
Mais un faune sélect au complet sans reproche
Avec, pour plus de chic, une main dans la poche
Et promenant à pas distraits son vœu secret.

Vu de dos, vous semblez un sage qui médite,
À jamais affranchi des fureurs d’Aphrodite
Et du soin de penser uniquement jaloux.

Vu de loin, on vous veut de près à justes titres.
Et, car la vie, hélas ! a de sombres chapitres.
Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous.



A sa mort, Verlaine commence un nouveau poème

Ainsi je riais, fou, car la vie est folie !
Mais je ne savais pas non plus que tu mourrais.

Où il réactive, en finale, hélas, son dernier vers :

Quand je ne te vois plus je me souviens de toi.


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Sunday, May 25, 2025

L ’Advenue de la journée


« J’adore l’idée que la journée se termine vraiment lorsqu’elle a été racontée »

dit Sylvain Tesson. Je suis seule. Je m’oublie. L’heure est propice. L’heure est calme.
Byron se répétait, dit-on, tous les matins de sa vie courte et dense : « Again to sea ! »
Romeo (acte III, scène 5) : « I must be gone and live, or stay and die. »
Et le Christ : « Viens et suis-moi. »
Rimbaud : « Je vais acheter un cheval et m’en aller. »
Des phrases de l’éternel départ
la Bibliothèque est terrifiante
« Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage »
La certitude est le contraire de la littérature
La pierre, la prière
Mais ça va, je suis capable de descendre dans la rue et de trouver que le temps est beau — et m’émerveiller même de la diversité des visages — et remarquer les enfants qui sont dehors comme dans la vie
Je suis capable de n’avoir aucun projet
Je cherche à me retrouver inconnue et j’y crois — que je pourrais, demain, me réveiller ivre, neuve, fringante

M arcolino

 
C’est idiot, c’est idiot, c’est idiot, je suis si heureuse à Paris. Ce printemps que l’on a. La beauté des plantes (plantées par Anne Hidalgo), les promenades, les terrasses. Et j’ai un logement, et j’ai des livres, et j’ai des resto qui sont moins chers qu’à Marseille, même qu’à Athènes, et je suis heureuse à Paris, j’ai des amis qui m’aiment, enfin, tout baigne, la santé n’est pas trop mauvaise… Et voilà t’y pas que je lis (au resto, en fond de salle tellement le soleil est brûlant en terrasse) le recueil trouvé chez Farid des chroniques de Françoise Sagan qui commence par « Bonjour Naples », un article de 1954 commandé par le ELLE  — et Françoise Sagan a tant de talent — que je sors mon tél et regarde si je ne peux pas me trouver un billet. Pour Naples ! En avion, en avion, avec les pauvres. J’adore le train, je ne voudrais que du train (et Jérôme Cloche a raison), mais, que voulez-vous, Naples en avion, c’est le prix de Bourg-en-Bresse en train. Et c’est là que me revient la phrase : « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » (La raison, sans en passer par le réalisme capitaliste, en est cependant claire : parce que la fin du monde nous arrive effectivement à chacun d’entre nous, nous le « croyons », en tout cas, comme nous le fait remarquer Jacques Lacan)
 
Et finalement j’avais rencontrée Marcolino qui avait tu mes jérémiades (je ne suis qu'une sotte, une dépensière, une victime... d'aillleurs je n'aime pas les voyages...) et redonné (après Françoise Sagan) le goût de Naples. Prénom napolitain (le même que son grand-père qui ne l’était pas du tout, c’est une histoire dont il m’a seulement transmis qu’elle était un peu longue), passion napolitaine, mais c’est tout, il ne parle pas la langue... Si, aussi, des dents superbes (donc le sourire) et la gourmandise, l'appétit de vivre. Tout mon contraire, hélas, je n'existe que si peu, je ne suis qu’une lectrice...
Mais où loger ? Qqn a un plan ?
Où pourrais-je rester à lire en fond de salle sans trop d’emmerdements, mais à Naples, du 10 au 17 ?

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Saturday, May 24, 2025

E rotisme

 
Mon (h)éros, Legrand, je commence à en avoir marre. Un peu comme Arthur Conan Doyle avec Sherlock Holmes, je ne serais pas opposée à le faire mourir ou disparaître par un moyen ou un autre (le dénoncer ? l’enfermer dans le château d’If ?) Mais on m’en redemande ! Hier soir, j’étais chez DI pour un peu de saké, il y avait Anne et Jérôme aussi, et Legrand était un sujet de conversation qui plaisait, qui revenait : « Où en es-tu avec Legrand ? » Eh bien, je ne l’ai pas beaucoup vu parce qu’il y a eu Bobo… On se met à comparer pour moi Bobo et Legrand. Je les aime d’un amour équivalent, j’aime l’un et l’autre, mais DI arrive à me faire reconnaître que Legrand est plus « déstabilisant ». C’est vrai, Legrand, en tant que personnage, est plus fort et ce que j’invente avec lui plus violent, plus souffrant. Bobo panse mes plaies quand il me reprend (car je suis — vous l'ai-je déjà dit ? — en garde alternée)

Bobo et Legrand ont à peu près le même âge, mais l’un est prof et l’autre est étudiant. C’est vrai, l’autre est plus jaloux de l’un plus indifférent. L’un a de beaux yeux bleus d’amoureux (armés pour la chasse), l’autre ne peut décemment pas compter sur ses sales yeux verts de vipère. Alors l’un laisse venir sa proie à lui, presque immobile, sans bouger (jouant cette indifférence qui me rend folle), tandis que l’autre est plus expansif, mobile, tourbillonne et énerve sa proie de mille promesses, de mille liens

Je lis dans l’Evangile selon Matthieu : « Personne ne peut se soumettre à 2 maîtres, ou alors il haïra l'un et aimera l'autre, ou à un seul il tiendra et à l'autre il ne pensera pas. » Bon, une phrase à méditer… Mais, dans mes rêves, mes boys sont à mes côtés, à mes pieds, dans mon dos... Ils m’adorent comme une prêtresse dominatrice. Ce sont mes esclaves, en fait. Ils sont nus et je compare leur corps, leurs odeurs. Je me traîne et mendie des miettes de leur libido terrible, sauvage
 
Mais eux me rafraîchissent le front avec des palmes. J’ai écrit à Legrand : « Quand est-ce qu’on recouche ensemble ? Tu me manques un peu… »

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