Wednesday, April 05, 2023

« Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler ! »


« « Pourquoi la littérature respire mal », expliquait Julien Gracq en 1960. L'écrivain appelait alors de ses vœux une littérature du « oui » pour contrer la montée en puissance de celle du « non », définie par son indifférence au monde et son repli narcissique sur elle-même. »

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U ne générale


C’est pas du tout que ce soit mauvais, ce qui se passe sur le plateau, pas du tout, mais il y a une bienveillance (de gauche), un air du temps (inclusif), ça chope ça, l’effet « Télérama », combien de « T » ? — il faut plaire — qui fait que ce qui pourrait être de l’art n’est plus qu’un divertissement au même titre que Disneyland, c’est faire passer du bon temps. Mais ce n’est pas ça, l’art. Rien qui résiste à l’air du temps. Tout faux. Et, encore une fois, ce n’est pas que ce qui se passe sur le plateau soit mauvais. Il faudrait juste que je fasse quelques retouches pour qu’on s’en sorte, ah, là, là... Faudrait, tout d’un coup, qu’il y ait un grand trou sur scène et que la moitié de la population y tombe ; là, on aurait un effet de vérité ! Une splendeur. Prendre le public pour un ado. Il ne connaît encore rien de la vie, il a juste l’enthousiasme, il s’émerveille. A combien de spectacles me suis-je dis : Ah, si j’étais (pré)ado, ça marcherait… mais, non, ça ne marche pas. Et, encore une fois, ce n’est pas que ce qui se passe sur le plateau soit mauvais. United Colors of Benetton. Toujours l’esthétique. Godard, disait Jean-Pierre Gorin, a « changé la pub ». Voilà son importance dans l'histoire de l'art : il a changé la pub ! (On leur proposait souvent de faire des pubs au moment du Groupe Dziga Vertov, ils acceptaient toujours mais en proposant des dingueries qui n'étaient pas retenues.) Jean-Pierre Gorin raconte qu’il a le plus de mal du monde à faire comprendre à ses étudiants — américains — que Godard a été, à un moment, révolutionnaire — parce que, l’esthétique de Godard, ils la connaissent bien, c’est la leur : United Colors of Benetton. Eh bien, on y est, là. Une fois de plus. La semaine dernière, j’ai vu en revanche quelque chose d’extraordinaire : Frank Willens, ce danseur exceptionnel que nous avons eu la chance de fréquenter au Carreau dansait à Vanves le solo de Tino Sehgal créé autour de l’an 2000, qui n’a pas de titre, mais un sous-titre : Twenty Minutes for the Twentieth Century (en fait, le solo, composé uniquement de citations, dure en fait 50, 55 mn). Tino Sehgal redonne des extraits des spectacles de danse qui l’ont marqué. Frank Willens l’a repris en 2013 et ça fait donc dix ans qu’il le danse. C’est extraordinaire de virtuosité (celle de Frank) et d’intelligence (celle de Tino et celle de Frank). Frank est déshabillé. Rien que le fait de le voir apparaître à poil signe que ce n’est pas un spectacle de maintenant*. United Colors of Benetton, je vous dis. Les GAFAM dominent le monde, plus forts que tous les dirigeants, tous les peuples. Le new fascisme. Seigneur ! tout Godard pour en arriver là. Et puis, à un moment, j’ai joué le jeu. Je me suis plaqué un sourire idiot, j’ai enlevé mes lunettes et j’ai navigué sur ma fatigue. J’ai laissé faire comme quand j’écoute les « Grosses Têtes », je ne cherche  rien. Au final, cette farandole forcée incluant le public. Le maigre public de la générale s'est levé comme un seul homme pour terminer la boucle dans les travées. Je resté seul sans comprendre au milieu du gradin...


* A Vidy, en Suisse, il était interdit aux moins de dix-huit ans !

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J’avais bien un texte, mais, bon, il est trop long (et on verra demain s’il est bon), mais qu’est-ce que je peux dire à la place dans cet univers futile, on a toujours qqch à dire, mais à qui ? Parfois, dans le vide, on sent une vérité. Hier j’ai revu Louise. Elle écrit des livres, deux, son éditeur en voudrait un troisième, mais elle ne veut pas s’y mettre, c’est tellement de souffrance (elle ne peut écrire que sur des sujets terribles, faut dire), alors elle s’est mise à la chanson, c’est plus gai, son éditeur fait la gueule ou elle lui fait la gueule parce qu’il lui fait la gueule parce qu’elle lui fait la gueule parce qu’elle veut chanter plutôt que d'accoucher (de ce foutu livre atroce). Voilà, enfin, je ne pensais pas raconter ça, mais, quand on a envie de parler, on ouvre la bouche et ça donne ça, presque n’importe quoi. Elle a une voix magnifique, ses chansons sont très belles, elle est comme un poisson dans l’air. Je l’encourage à laisser tomber la littérature. Elle m’a parlé de Faulkner, son grand choc, il y a trois ou quatre ans, depuis, tout ce qu’elle lit, rien n’est à la hauteur. J’ai fait le coach : « Idéalement, pour te lancer, il faudrait que tu changes de genre (on sortait du film de Preciado) ou que tu deviennes lesbienne ». Lesbienne n’est pas hors de sa portée, elle en a marre des mecs, elle les trouve lents, à la masse… À moi aussi, la littérature fait peur (et attire). Faulkner. Noir sur blanc. Blanc sur noir. Alors j’écoute ses chansons, j’écoute la sirène... Je devrais vous donner son nom ? LOUISE, c'est ça !