Ai lu ça cette nuit //
Projet de préface de Baudelaire aux Fleurs du mal : « Montre-t-on au public, affolé aujourd'hui,
indifférent demain, le mécanisme des trucs ? Lui explique-t-on les retouches et
les variantes improvisées aux répétitions, et jusqu'à quelle dose l'instinct et
la sincérité sont mêlées aux rubriques et au charlatanisme indispensable dans
l'amalgame de l'œuvre ? Lui révèle-t-on toutes les loques, les fards, les
poulies, les chaînes, les repentirs, les épreuves barbouillées, bref toutes les
horreurs qui composent le sanctuaire de l'art ? / D'ailleurs, telle n'est pas
aujourd'hui mon humeur. Je n'ai ni désir de démontrer, ni d'étonner, ni
d'amuser, ni de persuader. J'ai mes nerfs, mes vapeurs. J'aspire à un repos
absolu et une nuit continue. Chantre des voluptés folles du vin et de l'opium,
je n'ai soif que d'une liqueur inconnue sur la terre, et que la pharmaceutique
céleste elle-même ne pourrait pas m'offrir ; d'une liqueur qui ne contiendrait
ni la vitalité, ni la mort, ni l'excitation, ni le néant. Ne rien savoir, ne
rien enseigner, ne rien vouloir, ne rien sentir, dormir et encore dormir, tel
est aujourd'hui mon unique vœu. Vœu infâme et dégoûtant, mais sincère. »
Bises de la campagne (ici s'achève demain), à bientôt, Sélim
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