Tuesday, September 06, 2022

L a Paix désirable


Merci, les filles !


Jean-Baptiste (Lévêque, au son) me disait à la fin de la journée de dimanche : « Ça se passe bien avec le Carreau du Temple… » Eh bien, oui, ça se passe très bien avec vous ! Il est beau, votre projet si réel ! On revient quand vous voulez de nous ! Personnellement j’aime cette possibilité — que vous m’avez apprise — de traverser les frontières du spectacle, de frôler la vraie vie dans ce lieu idéal, cette verrière très traversable du cœur ancien de Paris… Vous ne savez sans doute pas, mais mes nuits sont peuplées de spectacles, que je me remémore, des mises en scène d'une extrême beauté, sans limite autre que celle du rêve. C’est ce que je rencontre modestement chez vous. Ce mélange, sur une même scène, des performers et du public (les enfants comprennent très bien qu’il n’y a pas de frontière à « jouer », à « danser » ou même à «  représenter »). Je crois que ce que je fais avec vous — ça a toujours été, sans doute, et je pense à Hotel Palace, à Bologne, mais ça s’est encore radicalisé chez vous —, au fond, c’est la paix. Je viens d’écouter une interview de Tristan Garcia (philosophe écrivain) qui formule ce que je pense exactement et ce que j'essaye — qui pour moi, loin de toute théorie, s’appelle aussi « vivre ». Je vous mets le passage intégralement, mais j’ai souligné les phrases qui parlent pour moi : 

« Je suis — dis-tu — d’un tempérament plutôt irénique, je n’aime rien plus que la paix et je souffre de ce que sa victoire est toujours à terme sa défaite.
— Oui, je suis comme beaucoup de gens un enfant de la paix européenne. D’une paix qui aura duré assez longtemps, qui touche peut-être à son terme. Je crois que mon tempérament et ma forme de vie est irénique, aime la paix, aime l’irénée, mais je souffre, en effet, du fait que plus personne ne désire la paix, c’est ce qui définit notre temps. Y a un désir de guerre, tout le monde, dans tous les camps, en quelque manière, veut la guerre. Pourquoi ? probablement parce que, lorsque la paix dure trop longtemps, elle finit pas être le nom de l’état-même des choses. Et étant le nom de l’état des choses, « paix » finit par désigner aussi « inégalité », « domination », « hypocrisie »… — et la paix finit par apparaître comme un mensonge. Et dans ces cas-là, régulièrement (comme chez Jünger, hein), la guerre redevient une figure de vérité : au moins les choses sont claires, les camps sont clairs, le conflit et la ligne-même du conflit apparaîtront. A gauche dans ma famille politique, à l’extrême-gauche, on a vu revenir le désir de guerre — je me souviens de voir la Contribution à la guerre civile des gens de « Tiqqun » —, désir de l’affrontement, de la vérité de l’affrontement. Or, moi, je ne crois pas à la vérité de l’affrontement, j’ai jamais cru à la vérité de la guerre. Mon grand-père paternel a fait la guerre, j’ai ce souvenir qu’il était impossible de lui faire raconter des récits de guerre. Ça a été un héros de guerre, en fait. Il a eu la croix de guerre qu’il a toujours cachée, qu’il n’a pas voulu avoir (c’est mon père adolescent qui a écrit pour qu’on lui remette la croix de guerre). Et j’ai souvent ce modèle en tête. C’est quelqu’un qui a fait la guerre, qui, je pense, a été extrêmement courageux, mais a fait en sorte de ne jamais tenir de discours qui la rendent désirable, toujours fait comprendre à ses enfants, à ses petits enfants, que, quand la guerre est là, il faut la faire, y a pas d’autre moyen, elle est là, c’est comme ça, c’est un fait, mais il n’y a pas à la transformer en quelque chose de désirable. S’il y a vraiment un type d’homme dont je méfie en général, c’est le type d’homme qui rend la guerre désirable. Etant de tempérament irénique, je vois bien que la guerre est là et qu’elle sera là de plus en plus, qu’il faudra la faire, faudra choisir son camp d’une manière ou d’une autre, mais je ne veux pas rendre ça désirable. Donc j’ai juste l’espoir, par la littérature ou par la pensée — même si, moi, je dois, comme chacun de nous, choisir mon camp (nous devrons choisir un camp et il faudra s’engager) —, j’ai au moins l’espoir de penser pour préserver cet espace irénique, à défaut d’un espace utopique, un espace où reconstruire la figure d’une paix désirable. Voilà. » 

Donc jai juste lespoir, par les spectacles que je propose, jai au moins lespoir de spectacles rêvés qui préservent cet espace irénique ; à défaut dun espace utopique, un espace où reconstruire la figure dune paix désirable. Voilà.

Cest ce que je vous ai entraînées à faire avec moi et cest ce que vous mavez entraîné à faire avec vous ! Nêtes-vous pas daccord ?

Des bises, les filles !

Yves-Noël



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L a Paix

L e Sauvage et le Baby, une thèse abandonnée par Gabrielle


« Le sauvage et le baby témoignent, par leur aspiration naïve vers le brillant, vers les plumages bariolés, les étoffes chatoyantes, vers la majesté superlative des formes artificielles, de leur dégoût pour le réel, et prouvent ainsi, à leur insu, l’immatérialité de leur âme. »


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R apide échange avec François Gremaud


Aurélien Barrau invité à l’université d’été du Medef.

« Je crois qu’il faut être un peu conséquent. Nous ne sommes déjà plus dans une crainte quant à l’avenir. Nous sommes dans un constat quant au passé. Nous avons d’ores et déjà éradiqué plus de la moitié des arbres, des insectes, des poissons d’eau douce, des mammifères sauvages. Nous laissons d’ores et déjà 700 000 êtres humains mourir chaque année de la pollution en Europe. Si, même face à cette évidence, nous ne voyons pas la nécessité d’une refonte axiologique et ontologique drastique, c’est que nous faisons preuve d’une cécité que nos descendants, s’ils survivent, auront, croyez-moi, du mal à pardonner. »


— Il a raison. Mais pas complètement. Il a raison dès qu’on vieillit, dès qu’on peut éprouver la perte. Mais c’est Goethe qui a raison : « La vie est belle qu’elle qu’elle soit ». C’est pour ça que ces rabâchages (ceux d’Aurélien Barrau et de quelques autres) ne « marchent » pas. Parce qu’ils se trompent (au moins de méthode). C’est beaucoup plus tragique qu’ils le disent ! « La vie est belle qu’elle qu’elle soit » ! Je me souviens d’une phrase de Leslie Kaplan dans un spectacle de Claude Régy, « Tout vit ». Et Claude Régy nous avait dit que c’était en fait une phrase terrifiante (bon, pour lui, tout devait être terrifiant). Mais il avait raison. « Tout vit »


— Je suis ABSOLUMENT d'accord avec toi. C'est le point de vue que je défends dans mon petit solo : Aller sans savoir où. Mais je ne suis pas certain que cela « marche » mieux…

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E ncore à certains endroits


« La nudité, l’érotisme, comme la nature, sont encore à certains endroits des espaces non marchands. C’est à dire des espaces où la dimension spirituelle du regard que l’on porte dessus, et qui pour moi à beaucoup à voir avec la poésie, peut se déployer sans brides ni contraintes, sans dévoiement. »


« Plus que d’écarter la menace de la disparition, il s’agirait plutôt d’embrasser sa propre présence, c’est-à-dire son insignifiance au milieu du reste. La disparition n’est pas vraiment une menace. Notre époque, qui a le goût de nous tenir en laisse, la symptomatise souvent par l’angoisse, mais il y a une certaine paix à savoir que tout est voué à disparaître, a muter totalement, à perdre son nom. »

E crire ?


« Il faut aller plus vite que cette part de vous même qui n'écrit pas, qui est toujours dans l'altitude de la pensée, toujours dans la menace de s'évanouir, de se dissoudre dans les limbes du récit à venir, qui ne descendra jamais au niveau de l'écriture, qui refuse les corvées. Le sentiment que quelquefois cette part qui n'écrit pas s'endort et se livre par là même et qu'elle se déverse toute entière dans l'écrit vulgaire qui sera le livre. Mais entre les deux états il y a beaucoup d’états intermédiaires plus ou moins heureux. Quelquefois sans doute s’agit-il du bonheur. »

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