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On dit que Picasso a fait souffrir ses femmes, mais alors Godard ! (qu’on compare à Picasso et y a de ça, c’est vrai). Encensé comme un saint, maintenant qu’il s’est suicidé, un saint imbuvable et omniprésent comme un pape de son vivant. L’œuvre reste — pour ceux qui la supportent. Pour moi, à part les trois qu'on cite toujours — et dont je n'aime que les deux premiers parce qu'Anna Karina souffre trop dans Pierrot le fou (au moins Picasso, ça ne se voit pas que ses femmes souffrent), c'est de la série B, à son meilleur quand c'est Détective… Le FID de Marseille m’envoie un email : « Si un homme traversait le paradis en songe, qu’il reçût une fleur comme preuve de son passage et qu’à son réveil il trouvât cette fleur dans ses mains. Que dire alors ? » C’est un extrait du journal de Coleridge, cité par Borges et que j’ai beaucoup, moi aussi, cité. Les gens du FID ajoutent : « Il était ce homme ». Non ! (j’ai retourné le mail). JLG n’est pas cet homme qui se balade au paradis même pas en rêve. Il n’ira même pas au purgatoire et peut-être même pas non plus dans l’enfer de Dante. Je ne sais pas où va ce genre de statues déboulonnées, dans une espèce de charnier métallique, je ne sais pas, radio-actif… Tout ce qu’on peut dire de juste sur Godard, c’est certes : « Il a marqué son temps ». Et passer à autre chose… Sa mort « désencombre l'espace », comme aurait dit Flaubert de celle de Hugo, manière de dire qu'elle laisse un vide. Tant mieux.
[En fait, non. Après avoir beaucoup cité ce mot trouvé dans un post de Philippe, hier soir, dans un dîner chez Sylvie, Farid, sans doute le plus cultivé de nous, a fait remarquer que Flaubert n'aurait pas pu le dire parce qu'il était mort cinq ans avant Hugo — peut-être Zola l'a-t-il dit, peut-être cité par les Goncourt dans leur Journal...]
[Dans ce même dîner, Sylvie a révélé qu'à l'annonce de la mort du Très-Haut, Stéphane avait annulé tous ses rendez-vous et qu'il avait pleuré toute la journée. J'aime quand un gouffre se révèle entre mes amis en moi, c'est comme la vérité, cette différence.]
Finalement, de toute ma conversation de ce matin avec C. W., d’abord une heure au téléphone et ensuite plus d’une heure en vis-à-vis, je n’ai retenu ce soir qu’une chose : son ami lui a annoncé qu’il allait désormais gagner 6 000 € par jour (il se demandait comment rester de gauche avec un tel chiffre). J’exagère un peu, me restent aussi ses yeux bleus. Et « Mon truc en plume » rose de Zizi. Et il portait un costume Issey Miyake. Enfin, il était adorable. Mais parle beaucoup de gens que même ma grand-mère n’a pas connus. Qu'est-ce que cela peut bien me faire que Françoise Seigner soit une très grosse gouine et que Roland Bertin trouve Dominique Blanchar la meilleure actrice qui soit ?
« Rien n’est / aussi commode / qu’un texte / et rien n’est /aussi commode / qu’un mot / dans un texte / nous n’avions / que du livre / à mettre / dans du livre / que serait-ce / quand il faut / dans un livre / dans du livre / mettre de la réalité / et au deuxième degré / quand il faut / dans la réalité / mettre / de la réalité »
« Bientôt tout le monde aura besoin d’interprètes, y compris pour comprendre les mots qui sortent de sa propre bouche. »
« Faut-il travailler à aimer ou aimer travailler ? »
« La beauté est la splendeur de la vérité »
« J’ai une règle qui m’est restée : faire ce qu’on peut et ne pas faire ce qu’on veut, faire ce qu’on veut à partir de ce qu’on peut, faire ce qu’on veut de ce qu’on a et pas du tout rêver l’impossible. »
« Suis-je malheureuse parce que je suis libre ou libre parce que je suis malheureuse ? »
« Déjà la nuit contemplait les étoiles
Et notre joie se métamorphose vite en pleurs
Jusqu’à ce que la mer se fut refermée sur nous » (Dante)
« C’est une évolution qui concerne toute la société. Il faut absolument rentabiliser au mieux le temps. Les grands comme les petits ont perdu l’usage des no man’s time : des temps pour rien, comme l’ennui, l’attente, la sieste. Ces temps hors temps sont très précieux, mais ils sont stigmatisés par la société de l’efficacité. »
(Titre pour un recueil de poèmes : No Man’s Time)
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