Thursday, April 30, 2020


La création de l’Arsenic fin octobre pour l’instant est maintenue (répétition en octobre et, si j’arrive à traverser la frontière, en juin). Avec plaisir, que tu m’assistes !
Celle qui est annulée sûr, c’est celle que je devais faire mi juillet toujours à Lausanne au festival de la Cité.
Merci pour la petite dame Alzheimer. Ma mère a aussi cette maladie. Ça m’intéresse d’autant plus…
Merci aussi pour la citation sur le courage… Oui, ce sont de drôles de temps. On est renvoyé à des choses anciennes, à des formes anciennes, aux sociétés qui avaient des limites (que le virus nous impose soudain) et, peut-être, oui, à des sentiments anciens, désuets que serait le courage, peut-être, la compassion, etc. L’honneur, peut-être, reviendra. Mais le capitalisme n’a pas dit son dernier mot. C’est lui qui dirige encore et toujours le jeu. Lui et la science qui est croyance (mais qui s’affirme comme non croyance). Mais nous sommes des poètes à la Rimbaud et nous avons encore le droit au romantisme, au moins répéter les mots anciens…
Je t’embrasse, toujours à Nantes, soleil longtemps, tempête maintenant, le temps du lilas et de la glycine déjà passé (comme ça va vite ! alors que dans l’imagination ça dure si longtemps).
Porte-toi bien et profite de ta jeunesse, 
Yves-Noël

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L e théâtre flottant


Bonjour Yves-Noël Genod,
J'espère que le confinement se passe le plus correctement possible pour vous.
Je vous écris parce que j'ai assisté récemment à votre pièce J'ai menti dans une condition tout à fait particulière, c'était la nuit du 13 au 14 avril, dans mon rêve, si vous voulez me lire ci-dessous...
J'étais dans l'eau, il y avait un peu de mouvement dans l'eau mais pas comme à la mer.
Le temps était plutôt calme et j'étais arrivée pour voir un spectacle donc de vous, J'ai menti. Quand je suis arrivée en nageant il était déjà commencé. Je me souviens bien, je n'étais pas vraiment toute nue, je crois que je portais des vêtements assez légers mais pas de chaussures ni de chaussettes ; j'étais un peu fatiguée, mais je pouvais flotter assez calmement et je me disais : « Ok, le spectacle est déjà commencé, mais, bon, j'y suis, ouf ! ». Je voyais un paysage au loin, une montagne bien verte, mais je me concentrais à trouver le rythme efficace de mes pieds et de mains pour pouvoir flotter sans trop dépenser l'énergie de mon corps. J'ai vu qu'il y avait d'autres spectateurs par-ci par-là, tout comme moi dans l’eau, et ils avaient tous l'air de voir le spectacle. 
En fait, J'ai menti était en train de se jouer sur un bateau en bois, un peu comme une sorte de grotte-bateau, tous les décors étaient là comme la salle Paradis du TNB, sauf la porte qui avait été remplacée par un rideau noir en velours.
Les pétales-flocons de neige flottaient sur l'eau et arrivaient près de moi et allaient se fondre peu à peu.
De temps en temps, je regardais les autres spectateurs qui étaient bien concentrés, leurs regards étaient tous vers le plateau-grotte-bateau mais, parfois, avec les petits mouvements de vagues, on allait être un peu près, alors je nageais un peu pour garder la distance avec les spectateurs.
Parfois j’essayais d'approcher plus près du plateau et je me disais : « Oh, mais ce point de vue... c'est comme si on assiste au spectacle du sous-sol, sauf que je dois flotter dans l'eau, qu'est-ce que c'est que ce bazar… mais, bon, habituellement, pendant le spectacle, on ne peut pas changer de place mais, là, je peux me déplacer et changer de point de vue, ok ok, mais depuis quand doit-on nager pour aller voir un spectacle… et puis on peut se noyer et puis, ces acteurs, ils peuvent tomber à l’eau, non ? qui va les sauver ? est-ce que le personnel, les pompiers sont quelque part ? je ne les vois pas, mais on est là, les spectateurs, donc on peut venir les sauver s'ils tombent... ok ».
Heureusement les acteurs continuaient à jouer et je vous ai aperçu à côté du rideau noir en velours.
Un moment, j'ai aperçu un drone noir en forme d'oiseau arriver de loin dans le ciel. Il était très silencieux. Peu à peu il venait vers nous et commençait à stationner en haut à quelques mètres au-dessus de la scène-grotte-bateau Paradis. Quand ce drone est descendu, j'ai été vraiment étonnée car je vous ai vu attaché à ce drone les bras ouverts et nous regarder. Je me suis dit :  « Ah, mais Yves-Noël, il était là il y a un instant à côté du rideau et, là, il débarque en drone et il porte un chapeau de pirate tricorne ??!! » Et j'ai vu que vous portiez des colliers et ils étaient tous suspendus car votre corps était à l’horizontal. 
J'ai observé les autres spectateurs, mais ils avaient continuer à rester tranquilles dans l'eau, ils avaient l'air si calme que je me suis demandé s'ils avaient pieds — ou peut-être qu'ils avaient trouvé un rocher et j'allais bientôt nager un peu pour essayer, moi aussi, de trouver un rocher quelque part... 
Et je me suis réveillée.
C'était une drôle d'expérience et j'ai ri en me réveillant dans mon lit.
J'ai compris pourquoi j'ai fait ce rêve étrange : parce que j'avais vu le discours d'Emmanuel Macron le soir du 13 avril à partir de 20h02 et après, je m’étais dit : « Si je ne me trompe pas, il a prononcé « culture » une fois et puis il a parlé à propos des rassemblements et a dit « pas de festival jusqu'à mi-juillet », mais il n'a toujours pas parlé sur le milieu du théâtre, de la danse, non... bon c'est compliqué, mais quand-même… » Et avant d'aller me coucher, je m'étais dit que chacun devait changer d'attitude face à cette crise sanitaire, mais — comment cela va-t-il se passer pour le théâtre, la danse... on doit garder la distance les uns les autres, ok, mais... comment c'est possible ??!
Je pense que tout ce que je ressentais ces derniers jours-ci a été traduit dans mon rêve.
Prenez-soin de vous,
Junko


Quelle merveille, Junko, ce rêve et que vous ayez pensé à nous le transmettre ! (Je m’empresse de le faire connaître aux acteurs.) Il y a comme un déplacement japonais qui s’opère, du spectacle russe, ce théâtre flottant, ce calme, les pétales qui flottent… (et même moi en Albator). Je vous embrasse (avec la fichue distance réglementaire) de Nantes où je suis confiné aussi un peu à la japonaise, mini-maison, mini-jardin et la nature qui y passe, le vent, le soleil et la tempête parfois…
Portez-vous bien, 

Yves-Noël

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B urlesques le sont


Tu y comprends quelque chose à tout ça ?
Vous avez sans doute plus de chance en Allemagne (ou dans le Nord si tu y travailles encore). Moi, mon spectacle de juillet en Suisse vient d’être annulé… 
Je te donne deux choses qui m’ont frappées, un entretien dans un journal suisse et, en pièce jointe, un bulletin (qu’un ami m’envoie régulièrement) un peu plus visionnaire que les journaux où il faut tellement trier parmi des monceaux d’infos absurdes (sauf « Charlie Hebdo »  et «  Le Canard » qui traitent de l’absurdité-même).
T’embrasse, 
Yvno

Tout essai de pensée anticipatrice est impossible actuellement. Attendre. Dans trois mois on pourra commencer à délirer sur l'avenir. Lire Freud fait du bien. Pensée lente et posée. Retenue. Calme. Mais exigeante. Cela calme !
En espérant que tu ailles bien.
Je t’embrasse.
Laurent

Ah oui, Freud, l'« auteur comique », selon Nabokov (« Les explications qu’il fournit des émotions de ses patients et de leurs rêves sont d’un burlesque incroyable »), qui conseille d’ailleurs de le lire dans l’original, ce que tu fais certainement. Tu as raison, profitons de cette impossibilité de la pensée anticipatrice (c’est très bien dit). Je regretterai certainement déjà ce temps qui passe à la vitesse de la Terre…
T’embrasse, très cher,
Yvno

Burlesques le sont les rêves et les émotions d'abord.
Après, l’interprétation, ce n’est qu‘un délire de plus.

Ici, dans la maison où je suis (à Nantes) et parmi la tempête, je feuillette (suis-je capable de plus, j’ai vraiment des doutes...) Die Traumdeutung et, évidemment, pris au hasard, c’est vraiment très drôle : « Les sujets qui rêvent souvent de natation, qui plongent dans les vagues avec joie, etc., sont ordinairement de ceux qui ont mouillé leur lit ; ils répètent dans le rêve un plaisir auquel ils ont dû renoncer depuis longtemps. » Ce qui est troublant, c’est que cette terreur actuelle de l’enfermement (que je ressens très fort ces jours-ci), la littérature la décrit très bien depuis longtemps, la littérature du passé — nous étions donc enfermé avant ? — et pas seulement la littérature du passé du futur (la science-fiction)...
La coiffeuse avec qui je partage ma couche, elle, ne rêve jamais ; comme ça, c’est réglé ! 
Ou encore (c’est elle qui trouve la phrase) : «  Le Dr Paul Federn (de Vienne) fait l’hypothèse pénétrante [c’est le cas de le dire] qu’une bonne part des rêves de vol sont des rêves d’érection, parce que le phénomène remarquable de l’érection, qui n’a cessé de préoccuper l’imagination humaine [certes], doit lui apparaître comme la suppression de la pesanteur (cf. les phallus ailés des Anciens). » Du coup, la coiffeuse va lire ce passage à son fils qui fait du base-jump (il saute des tours) et qui a aussi de très gros besoins sexuels. Oui, il a sûrement raison le Dr Federn !
T’embrasse, 
Yvno

On rêve toujours. Ta coiffeuse ne se souvient seulement pas de ses rêves. Ce qui est différent que d'affirmer que l'on ne rêve pas. 
Oui. La littérature a toujours parlé de confinement car elle a toujours cherché à dépasser un Interdit, un impossible, une butée. Bref, une instance au dessus du sujet qui le rendait désirant. Le virus remplit ce rôle en quelque sorte. Il impose une limite à nos jouissances capitaliste et nous fait ressentir l'humain dans sa finitude. Et nous reconnecte aux grandes époques du passé qui avaient encore des limites. Des limites, il y en a toujours, mais l'homme contemporain aime à penser qu'elles ont été abolies. La science d’ailleurs nous entraîne dangereusement sur cette pente. Elle est croyance mais s'affirme comme non croyance ! Et le capitalisme l’adore. 
Je t’embrasse,
Laurent 

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