« La science contemporaine aussi, sans s’en rendre compte, n’a pas cessé de voir dans les plantes l’origine du monde. Les plantes sont, de plusieurs points de vue, une force cosmogonique : ce sont les êtres qui ont engendré le monde tel que nous le connaissons et nous l’habitons, qui ont fait et continuent à faire notre monde dans au moins trois sens. En premier lieu, en conquérant la surface de la terre ferme et en se répandant sur tout le globe elles ont produit (et continuent à la produire continuellement) l’atmosphère riche en oxygène qui a rendu possible la vie de toute vie animale supérieure : tout animal supérieur peut vivre seulement car il peut respirer les restes de leur métabolisme. En deuxième lieu, en exploitant à plus grande échelle un mécanisme ‘inventé’ par les cyanobactéries elles, elles permettent de transformer l’énergie solaire en matière vivante : la vie organique n’est que la conséquence de cette capacité alchimique de transformer le soleil en masse animée et surtout d’inventer des formes infinies d’existence de cette énergie. Nous appelons ‘vie’ cette immense cornue alchimique à ciel ouvert qui invente des formes capables de traduire et faire exister autrement l’énergie solaire. Mais c’est seulement grâce à la variante végétale de ce processus d’exploitation et de transduction de l’énergie solaire que la vie sur la planète a cessé d’être un fait marginal — d’un point de vue à la fois quantitatif et qualitatif — pour en constituer la caractéristique principale, son essence même.
Elles ont enfin inventé un corps qui se structure non pas pour s’opposer à l’extériorité, mais pour y adhérer le plus possible : mieux se confondre avec le monde pour mieux le modifier. Comprendre la plante signifie donc comprendre le monde et à l’inverse le monde est, tout d’abord un fait végétal. Toute cosmologie doit partir d’une réflexion botanique. Le livre, de ce point de vue, n’est pas un traité de botanique spéculative : il est un traité de cosmologie, qui toutefois nie au moins trois postulats de la cosmologie traditionnelle. En premier lieu, le principe qui engendre le monde est un élément mondain et non un super-sujet antérieur et extérieur au monde : il y a un monde seulement parce que et là où la cause et la conséquence, l’origine et son expression sont contenues l’une dans l’autre. Il ne peut pas donc y avoir une réflexion sur un objet mondain qui ne soit pas, de facto, une réflexion cosmologique. En deuxième lieu l’origine du monde n’est pas à chercher dans un lieu et dans un temps reculés : elle est partout et elle existe à tout moment, car la genèse du monde, de notre monde n’est pas un événement singulier (un big bang) mais un processus perpétuellement en cours. Le monde commence toujours par son centre, au milieu, et il n’y a pas donc d’histoire qui ne soit pas cosmologie.
Troisièmement toute forme vivante est à la fois forme du monde qu’elle à la fois produit et contemple : c’est pour cela que le livre peut partir de quelques organes ou parties du corps végétale (la fleur, la racine, la feuille) pour définir des propriétés du cosmos (sa nature atmosphérique, l’unicité du ciel, l’existence du mélange universel). A l’inverse, pour observer le monde nous n’avons pas besoin d’un point de vue, mais d’un point de vie : l’univers vit, il est un produit des vivants, à tout échelle, et c’est en observant le vivant que nous pouvons expliquer l’univers, et non vice versa. A la différence de ce que pense Meillassoux nous ne pouvons jamais dépasser notre point de vie : tout ce que le réalisme spéculatif dit et pense, présuppose la présence de vivants qui parlent, écrivent, respirent. »
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