VI. Pauvres pêcheurs Entre la province et la métropole, force est d’admettre qu’il existe de nombreux problèmes de vocabulaire.
C’est ce que j’essaie d’expliquer à Yves-Noël G. alors que nous prenons un verre non loin du théâtre, satisfaits, tous intimement, de la performance que nous venons de livrer.
Tu vois Yves-Noël, je vais te donner un exemple simple : la sole.
Qu’est-ce que la sole? (leçon 3)Le terme « sole », en référence au poisson, est apparu dans la langue française au XIIIe siècle. Il est dérivé du latin « solea » qui signifie « sandale » par allusion à sa forme plate.
Au Bas-Canada, sous l'influence probable de l'anglais, on désigne sous le nom de « sole » divers poissons plats, notamment la plie.
La sole ne fréquente pas nos eaux. Celle que l'on retrouve sur les marchés est importée de France : elle est nettement plus chère que nos poissons locaux. On la vend généralement entière afin que l'amateur – qui connaît bien son poisson – sache qu'il s'agit vraiment de sole.
Le terme « plie » est apparu à la même époque et dérive du bas latin « platessa » qui signifie « plat ». En France, la plie porte le nom de « carrelet ».
Ce n'est pas d'hier que ces poissons habitent nos mers. Les plus anciens fossiles de plie et de sole que les paléologues ont trouvés remontent à environ 29 millions d'années.
Proches cousines, la sole et la plie ont pour caractéristiques communes d'être plates, de nager sur le côté, d'avoir les deux yeux sur leur face supérieure et de vivre près du fond marin, avec lequel elles se confondent grâce à une ingénieuse stratégie de camouflage qui leur permet de changer de couleur à volonté.
Ces similitudes expliquent peut-être pourquoi on les a souvent confondues. Toutefois, de tout temps, la sole a été la préférée des deux, notamment chez les Romains qui la faisaient mariner au sel, la faisaient cuire à l'étuvée, l'apprêtaient en pâté, en potage en ragoût.
Mets royal sous Louis XVI, la sole fera le bonheur de nombreuses générations de chefs qui apprécient tout particulièrement la finesse de sa chair.
FINSur le coup, j’ai l’impression de ne pas du tout intéresser mon interlocuteur, alors je renchéris en jouant les matamores.
Je lui explique que cette histoire de sole est très importante pour un livre que je suis sur le point de terminé, un livre où je consigne les expériences « spéciales » vécues entre mes 25 et mes 29 ans, un journal intime, en fait, où j’essaie de condenser au maximum tout ce qui pour un temps a construit ma vie.
J’explique à Yves-Noël G. que ce livre, dans sa troisième partie, comptera un très long développement sur le poisson, suivant un argumentaire très étoffé sur la volaille et que tout sera organisé pour pointer vers une finale pour le moins inattendue où le narrateur en tenant dans ses mains un poisson dira : « Rien n’aura eu lieu que le lieu. »
Je lui explique que personne dans ma province ne comprendra la blague, du fait de notre petite connaissance du poisson.
Il ne me suit pas alors je poursuis mon exposé :
Qu’est-ce que le lieu? (leçon 4)Aussi appelés « Colin », le lieu est de la famille des Gadidés (morue, merlan, merlu...) et se distinguent des autres espèces par leurs lignes latérales bien visibles.
Son corps assez allongé présente une tête pointue, un dos dont la couleur va du brun-verdâtre au noirâtre avec un ventre grisâtre avec des reflets argentés.
On les trouve au nord-est de l'Atlantique, de la Scandinavie au Golf de Gascogne, en Mer du Nord et dans la mer Baltique.
C'est un grand voyageur.
La maturité sexuelle de ces poissons est atteinte vers l'âge de 29 ans. Ils se nourrissent de petits crustacés et de larves de poissons.
En bateau, la pêche du Lieu peut donner de bonnes sensations. On pêche le lieu en lançant des leurres (important).
FINJe vois qu’il ne mord toujours pas alors je sors les gros hameçons.
Et toi Yves-Noël, comment crois-tu qu’on puisse penser le renouvellement des formes à l’extérieur du cadre de l’avant-garde ?
Pas de réponse.
Je joue alors la corde locale…
Tu sais, moi, j’aime Paris, c’est ma ville d’adoption, j’y passe pratiquement la moitié de mon temps même si je dois prendre l’avion pendant six heures, même si je dois payer six mille francs à chaque fois.
Toujours rien.
Alors je fais les hommes du monde :
Tu sais, je peux te parler de n’importe quel sujet, je suis un bavard.
Et là je ne prévois pas du tout le coup et c’est moi qui me fait prendre dans le filet.
Yves-Noël G : si tu es si malin, parle moi un peu d’
Hamlet.
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