Je bois du café, des bols
entiers, lents à préparer, aussi noir que le Tarn est vert, les mêmes reflets,
les mêmes ciels.
Dans la forêt, en face, il y a
un oiseau – spécial – qui commence à communiquer avec moi. Il me dit :
« Salut ! Quel est ton pays ? Mon pays est la forêt… » La
beauté de cette forêt qui se reflète dans le Tarn est indéniable. Absolument
impossible à transcrire. Elle est imaginaire. Si je vous racontais les
histoires de Bébé, vous pourriez me croire, mais, l’histoire de cette forêt,
non, vous ne le feriez pas. Je recopie des fragments de livres – et je bois du
café. Je pense à Pierre, la vie que nous aurions menée… Je pense aussi, bien sûr,
aux femmes. Aux femmes qui seraient heureuses malgré moi dans ce pays sans
fond, Eternel retour et Grand
Meaulne… Sur la table, les vêtements
s’accumulent. La table de travail est couverte d’or et d’encens, les vêtements,
la sueur accumulée. Mais je regarde toujours par la fenêtre d’été la forêt
immense où l’oiseau fait son nid.
Quand la musique est belle,
je me mets à danser. Babeth m’a installé une petite radio branchée sur France
Musique. Babeth est drôle, elle parlait de la grève. Encore la grève à Radio
France ? « Oui, et c’était merveilleux car il ne passait plus que
Vivaldi, Bach ou Beethoven… – Ah, oui, sans les parlottes… – Oui, et sans ces
horribles trucs modernes, surtout ! » Oui, que Paris se mette en
grève, Paris ! Paris où il faut tant d’argent. Ici, dans ce palais
déshabité, il ne faut rien. Qu’une vieille radio en grève. Lumière d’octobre.
Sur le Tarn. On boit du Gaillac. Entre Albi et Toulouse. Ce soir, Marlène et
Jonathan jouent à Toulouse. Il faut que j’envoie un mot. De toute façon, tout
est merveilleux, pour Babeth. Elle adore – ça doit être une figure de style –
renverser ce qui doit être triste en gaieté. Par exemple, quand je lui ai dit
que j’avais perdu l’odorat : « Quelle chance ! Ainsi, vous ne
sentez pas les gens qui puent de la gueule parce que, ça, c’est affreux,
affreux ! Moi qui ai la malchance d’avoir un odorat développé, je vous
envie (etc.) » Ça y est, ils se remettent à parler ! C’est fini, la
grève à Radio France ! Et, là, ça m’empêche d’écrire. Malgré le café.
Toutes ces voix de pédales… ou alors un sketch des Deschiens ! C’est pour
ça que Marlène et Jonathan auront toujours du travail… Les gens sont tellement
grotesques ! Reste le comique, la rigolade pour survivre. La musique a
repris. La musique qui est « faite ». Oh, ils se
disputent ! « Il n’empêche que les passions selon saint Mathieu et
saint Jean sont le plus grand théâtre d’Occident… – Je me suis mal exprimé… –
Si on a inventé l’opéra…» J’adore la radio ! Maïté et les anguilles. (La
télé aussi.) Les sketches comiques. Les duettistes. Le cabaret. Marre de boire
l’eau noire du café, je m’en vais boire l’eau verte de l’eau du Tarn.
J’aimerais lire aussi des poèmes.
« La terre est bleue comme une orange. »
Il y a un meurtre, dans le
roman de Sagan, c’est très émouvant. Quelqu’un est tué. Et ce roman qui
semblait n’aller nulle part – elle nous le faisait croire – avait donc un plan.
C’est aussi son défaut *. Car il y a une résonance morale. A la Jean-Paul
Sartre. Quelqu’un est tué par ses amis. On le voit mourir, c’est bouleversant.
« On a été,
François-Frédéric, je crois qu’on peut le dire, scotché. »
Dans le petit livre sur le
champagne que m’a offert Bébé, il y a un extrait de ce livre que je relis donc
maintenant. On a nommé l’extrait : « Splendeur et décadence ».
C’est Robert qui meurt, qui va mourir, c’est très triste…
« Dans tous les cas, la
poésie est antérieure à la prose. On dirait que l’homme chante avant de parler.
Mais il y a d’autres raisons très importantes. Un vers, une fois qu’il est
composé, sert de modèle. A force de le répéter, on aboutit au poème. La
prose, en revanche, est beaucoup plus compliquée, elle requiert un plus grand
effort. Il ne faut pas oublier la vertu mnémotechnique du vers. »
J’ai toujours envie de lire Sagan.
Mais je n’ai qu’un livre d’elle. Je ferai comme si tous les livres étaient
contenus dans celui-ci – que je relirai sans fin…
Oui, ce château n’a qu’une
chambre. Et le bruit de l’avion par la fenêtre est le même que celui que vous
entendez à présent. Il n’y a pas d’horaires, pas d’été. Autres que ce château
aux multiples fenêtres (trois cent soixante-cinq, je le répète). L’oiseau, la
vitre, le soleil, le bleu. Métaphores de tous les oiseaux.
Quand la musique s’est tue,
de la radio percluse, nous entendons ici, toi et moi, l’immensité de la rumeur
du barrage, qui est une fréquence, et que la mouche nous fait entendre, la
mouche qui passe, la mouche de midi. La mouche qui se déplace peu importe les
hauteurs – tragiques – du ciel ou du soleil. La mouche de partout. Elle cogne de
rien dans l’immensité. L’immensité imaginaire de midi. Jusqu’à Toulouse. Une
métaphore pour l’ours, c’est le « loup des abeilles ». (Jonathan
vient de m’écrire : « Nous on a un ours des Pyrénées sur le plateau. »)
Une métaphore anglo-saxonne, répertoriée dans le livre de Jorge Luis Borges, Cours
de littérature anglaise.
* Donc sa force.
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