En pleine nuit, j’écrirais encore sur ma mère. Aujourd’hui ma mère était dans un état que je ne lui connaissais pas. Je me suis demandé si on ne lui avait pas changé ses médocs, mais la personne à qui je l’ai demandé ne travaillait pas à son étage. Une logorrhée incroyable, un appétit de vivre. Un côté, même, « bon-vivant » presque effrayant. Et puis je m’en suis foutu de savoir si on lui avait changé ces médocs ou pas. Quelle importance ? Quand je suis arrivé, elle parlait avec Rolande (Rolande Vermeil, ça ne s’invente pas) comme deux copines qui prennent le thé, elles regardaient des prospectus, mais passionnément, la belle vie, quoi. Book club. Sur celui des éditions Bayard, il y avait marqué : « LIRE C’EST RÊVER LES YEUX OUVERTS ». J’ai hésité à les déranger. J’étais heureux de voir que ma mère avait une vie en dehors de moi, qu’elle se reconstituait tout un monde comme elle l’avait fait tout sa vie : trouver une dame de compagnie et y aller, foncer. Mais je n’ai rien dérangé du tout, ma mère dans un tel état d’excitation, trouvant des solutions à tout, trouvant des problèmes à toutes les solutions, jonglant. Evidemment dans l’état de délabrement où se trouve la fonction cognitive (c’est comme ça qu’on dit ?), on parle avec ce qu’on trouve, l'important c’est de ne pas s’arrêter (toutes les phrases qui viennent servent), on passe du coq à l'âne, babiller sans désemparer, un sujet chasse l'autre, se baisser pour ramasser. On regarde : on nomme. Elle me présente un peu rapidement à Rolande comme « ma compagne ». Rolande est une jolie femme avec un serre-tête. Ma mère a dû lui dire pour faire connaissance (elle le dit à beaucoup ) : « Vos yeux bleus sont jolis ». Elle est en fauteuil, elle. Elle entend ce qu’on dit, mais y répond très doucement, très faiblement en passant régulièrement d’un visage doux et harmonieux au faciès de la douleur, un masque très pur qui s’inscrit et se désinscrit comme un tic sur son beau visage calme. Mater Dolorosa. « J’ai maman qui m’attend», dit Rolande
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