(Lettre ouverte)
« La Dispute », émission
d'Arnaud Laporte sur France Culture avec Joëlle Gayot, Gwenola David et Anna
Sigalevitch parle du spectacle (à 44mn du début de l'émission) avec une énorme gentillesse – merci à
vous ! Deux remarques néanmoins :
Vous avez
remarqué que vous n’avez pas vu le même spectacle. Hors, c’est peu de le dire,
le spectacle est radicalement différent tous les soirs, je veux dire qu’il est
improvisé ou, mieux dit, remis en jeu. Je le vois tous les soirs, je peux en
témoigner. Pas les mêmes acteurs, pas les mêmes textes, pas les mêmes actions.
Pourquoi ? C’est ça que j’ai du mal à faire passer. Au TCI, j’avais
proposé un diptyque, un spectacle avec acteurs, un autre sans. Si on ne voyait
que la moitié du travail, on n’avait rien compris (et si on aime, ce n’est pas
grave). Ici, nous avons décidé de ne pas cristalliser – et donc d’empêcher la
cristallisation de ce spectacle. C’est beaucoup plus difficile, mais nous
travaillons sur l’informe. En gros, mais déroulez le paradigme, le je-ne-sais-quoi, l’inachevé, tout ce que vous voulez (l’« état
de l’apparition », comme disait Duras…) Nous travaillons sur cette phrase
(et, ça, vous l’avez si bien compris !) – et en cela, tous les soirs, il s’agit aussi du même spectacle – : « Tout
arrive en même temps. »
Deuxième
remarque : je ne trouve pas du tout que Marlène Saldana soit
sous-employée, je trouve que c’est peut-être son plus beau travail avec moi, je
le lui ai dit et je ne suis pas le seul. Un soir, le soir de la deuxième, j’ai
employé aussi Olivier Martin-Salvan. Et bien évidemment qu’on aurait pu dire
qu’Olivier Martin-Salvan était sous-employé. Mais où est le sens ? Je n’arrête pas de dire aux acteurs : C’est merveilleux que vous
soyez d’immenses acteurs pour le faire, mais, n’oubliez pas, quand vous le
faites bien, vous êtes n’importe qui. Every tree does it. C’est merveilleux que des acteurs pareils soient dans
cette aventure et sous-employés. Est-ce que Bulle Ogier était sous-employée quand elle
travaillait avec Duras ? Oui et non. Et Valérie Dréville, et Lorenzo de
Angelis, et Alexandre Styker, et Audrey Bonnet dimanche dernier, etc. Je ne
cite pas Dominique Uber car je trouve qu’elle comprend si bien de quoi il s’agit
qu’elle arrive à être « autre », personne ne pense qu’elle a quatorze
ans de Maguy Marin dans les pattes. Ni Simon Bourgade, mon assistant (celui qui
arrose les plantes), que Patrice Chéreau a remarqué pour son
« naturel ». Etc.
J’ai du mal encore à faire passer le sens profond de ce
travail written on water, mais je dois dire que votre émission et votre gentillesse m’ont touché
réellement jusqu’au cœur et fait venir les larmes. (Je pensais que la
critique allait nous ignorer complètement...)
Je crois en la gentillesse, pour moi
c’est l’exact endroit du génie. Et je vous ai trouvés géniaux ! Merci
infiniment,
Yves-Noël
Genod
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