Wednesday, October 10, 2018

H é pauvrette ! (prière)


« O Dieux, qui de là haut voyez comme je suis,
Qui voyez mes douleurs, qui voyez mes ennuis:
Dieux, qui voyez mon mal, Dieus qui voyez mes peines,
Dieux qui voyez seicher mon sang dedans mes veines, 
Et mon esprit rongé d’un eternel esmoy,
Bons Dieux, grands Dieux du ciel, prenez pitié de moy !
Ouvrez, je vous supply, les prisons à mon ame,
Et mon corps renversez dessous la froide lame
Pour finir mes langueurs qui recroistront tousjours 
Sans jamais prendre fin qu’en finissant mes jours.
L’espoir de ma santé n’est qu’en la tombe obscure,
Ma guarison n’est plus que d’une sepulture.
Parlé-je de mourir ? hé pauvrette ! mon corps
Mon corps ne meurt-il pas tous les jours mille morts ? 
Helas helas, si fait : je ne suis plus en vie,
La vie que j’avoy m’est de douleur ravie.
Pour le moins si je vis, je vis en endurant
Jour et nuict les dangers qu’on endure en mourant.
O Phedre ! ô pauvre Phedre ! hé qu’à la mauvaise heure 
Tu as abandonné ta natale demeure!
Qu’il t’eust bien mieux valu, pauvre Princesse, alors
Que tu te mis sur mer, perir de mille morts.
Qu’il t’eust bien mieux valu tomber dessous les ondes,
Et remplir l’estomac des Phoques vagabondes, 
Lors qu’à ton grand malheur une indiscrete amour
Te feit passer la mer sans espoir de retour.
Qu’il t’eust bien mieux valu, delaissee au rivage,
Comme fut Ariadne en une isle sauvage,
Ariadne ta sœur, errer seule en danger 
Des lions Naxeans, qui t’eussent peu manger,
Plustost qu’adoulouree et de vivre assouvie,
Trainer si longuement ton ennuyeuse vie :
Plustost plustost que vivre en un eternel dueil,
Ne faisant jour et nuict qu’abayer au cercueil. 
Voila mon beau Thesé qui, suivant sa coustume
D’estre instable en amours, d’un nouveau feu s’allume.
Voila qu’il m’abandonne, apres que le cruel
M’a faict abandonner mon sejour naturel :
Apres qu’il m’a ravie aux yeux de mon bon père : 
Et aux embrassemens de ma dolente mere,
Fugitive, bannie, et qu’il a contenté
Son ardeur, des plaisirs de ma virginité,
Il va, de Pirithois compagnon detestable,
Enlever de Pluton l’espouse venerable. 
La terre leur est vile : ils vont chercher là bas,
Sur les rivages noirs, leurs amoureux esbas.
L’enfer qui n’est qu’horreur, qui n’est que toute rage,
Qu’encombre et que tourment, ne domte leur courage.
Mais soyent tant qu’ils voudront aux infernaux palus, 
Ce n’est pas la douleur qui me gesne le plus :
Un plus aspre tourment rampe dans mes moüelles,
Qui les va remplissant de passions cruelles.
Le repos de la nuict n’allege mes travaux,
Le somme Lethean n’amortist point mes maux, 
Ma douleur se nourrist et croist tousjours plus forte.
Je brûle, miserable, et le feu que je porte
Enclos en mes poumons, soit de jour ou de nuict,
De soir ou de matin, de plus en plus me cuit.
J’ay l’estomach plus chaud que n’est la chaude braise, 
Dont les Cyclopes nus font rougir leur fournaise,
Quand au creux Etnean, à puissance de coups,
Ils forgent, renfrongnez, de Jupin le courroux.
Hé bons Dieux! que feray-je ? auray-je tousjours pleine
La poitrine et le cœur d’une si dure peine ? 
Souffriray-je tousjours ? ô malheureux Amour !
Que maudite soit l’heure et maudit soit le jour
Que je te fu sujette ! ô quatre fois mauditte
La fleche que tu pris dans les yeux d’Hippolyte :
D’Hippolyte que j’aime, et non pas seulement 
Que j’aime, mais de qui j’enrage follement. »

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S cève ou Mallarmé


« Il me semble que l’on pourrait donner Scève ou Mallarmé au théâtre et qu’ils deviendraient pour tous, transparents. Il y a une sorte de lumière intellectuelle, de compréhension, de luminosité qui est apportée par le théâtre. Apportée par la chair. »

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UN ESPION VIEUX COMME LE MONDE

Yves-Noël Genod revient ! Il a débuté sa carrière au Lieu Unique en juin 2003, il y avait encore des oiseaux dans les arbres. (C’était avant qu’elle lui prenne tout.)
Il laisse cet espace publicitaire à un ami pour dire ça : 

« Notre besoin de pain blanc est impossible à rassasier. Notre besoin de jambon rose est impossible à rassasier. Notre besoin de rondelle de citron jaune est impossible à rassasier. Notre besoin de viande bleue, blanche, rouge est impossible à rassasier. Notre besoin de café noir et de thé détox est impossible à rassasier. Notre besoin de Sport Utility Vehicle est impossible à rassasier, et de temps en temps de prendre l'avion vers des pays lointains. Notre besoin d’isolation et de douche chaude est impossible à rassasier. Notre besoin de société déodorante est impossible à rassasier. Qu’est-ce qui nous consolera en 2030 ? » (Pierre Courcelle)

Selfie de Dominique Issermann (qu’on aperçoit dans l’écran de la lunette)


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S ens


Tiens, une chose de Valéry que je trouve belle (tout arrive ! c’est la première fois, ça vaut le coup de te le dire !) : 
« Et donc, et surtout, ne vous hâtez point d’accéder au sens. Approchez-vous de lui sans force et comme insensiblement. » S’approcher du sens sans force, c’est ça… Surtout pour Phèdre
YN 

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I mpossible à rassasier


« Notre besoin de pain blanc est impossible à rassasier. Notre besoin de jambon rose est impossible à rassasier. Notre besoin de rondelle de citron jaune est impossible à rassasier. Notre besoin de viande bleue, blanche, rouge est impossible à rassasier. Notre besoin de café noir et de thé détox est impossible à rassasier. Notre besoin de Sport Utility Vehicle est impossible à rassasier, et de temps en temps de prendre l'avion vers des pays lointains. Notre besoin d’isolation et de douche chaude est impossible à rassasier. Notre besoin de société déodorante est impossible à rassasier. Qu’est-ce qui nous consolera en 2030 ? »

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B eau-Rivage



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I ci


Bonne nouvelle pour Phèdre (et, certes, moins bonne pour le Baudelaire), la salle sans le gradin est beaucoup moins mate, c’est beaucoup plus agréable d’y travailler. Le volume vide est, comme prévu, très beau. Du coup, ça me donne presque envie de mettre le public tout autour le long des murs pour garder le vide de cette pauvre fille perdue dans le cosmos (c’est bien moi) au centre absent de ce volume. Mais on essayera aussi les chaises en désordre et les matelas… Pour le moment, aussi, le gril est en haut…
Je suis toujours autant terrorisé par le rapport impossible de cette matière avec le public (comment pourrait-il entrer là-dedans, l’époque n’est tellement pas à ça !) et, en même temps, quand je suis seul (et avec le nouveau son) (et le calme), je trouve ça tellement beau, tellement réconfortant, tellement simple, de parler du malheur du monde de cette manière. La réussite de ce travail ne dépend alors que d’apporter, d’imposer ce calme et cette beauté dans le grand vide du temple protecteur entouré du monde en guerre larvée, future, ancienne, contemporaine… Créer un abri… Que disait Grüber ? « Il faut que le théâtre passe à travers les larmes », 
« Bérénice, c’est comme une perle, me disait-il. Ou bien le corps étranger entre dans l’huître et la perle naît de la mort, ou bien on reste fermé à la douleur… Quelque chose meurt et il reste la pureté, cela m’émeut beaucoup… C’est la première fois que je ressens cela : le passage de la froideur et du blabla à quelque chose d’intelligent et chaud. Pour un Boche, c’est difficile, il faut beaucoup de temps. Je suis trop habitué à Büchner, Kleist… Mais là, je le sens : l’intelligence peut être chaude… Maintenant, je sais que l’on peut pleurer en alexandrins… »
Yvno

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