« Il travaillait alors à une toile intitulée Le Seuil du Jardin. Son sujet lui avait été fourni par un rêve dont l’insistance à se reproduire lui semblait un avertissement. D’une nuit à l’autre, le décor variait légèrement, mais la même impression de joie incommunicable s’en dégageait. Masson approchait d’un jardin à l’abandon, désert, touché par la lumière d’été. Sa porte vermoulue était ouverte, mais il n’éprouvait pas l’envie d’y pénétrer ; il lui suffisait de savoir que ce jardin existait et de le contempler jusqu’à ses limites perdues dans les broussailles, entre des bassins et des kiosques en ruine. Un sentiment bizarre retenait Masson sur le seuil : le soupçon qu’il valait mieux remettre à plus tard l’exploration de l’enclos, le pressentiment d’une obscure défense d’entrer. Il longeait le mur, regardait par les brèches, dans l’attente d’un événement qui ne survenait pas, mais une attente sans impatience et sûre d’être satisfaite. Puis, à un moment donné, il se trouvait à l’intérieur du jardin, bien qu’il n’ait jamais eu conscience du passage. Une paix surnaturelle l’entourait, un bonheur sans équivalent dans la veille. Ce sommet dans la joie annonçait la fin du rêve ; de toutes ses forces Masson s’accrochait à l’image du jardin désert, mais celle-ci se défaisait inexorablement, par lambeaux, devant lui en dérobant son énigme ensoleillée. »
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