D es Esseintes
Il m’est arrivé une aventure assez belle... J’avais lu quelque part (peut-être dans « Libé ») que, Netflix, c’était plus comme avant quand la plateforme lançait des projets expérimentaux, des trucs super sympa, formidables. L’article donnait quelques exemples de cet âge d’or dont une série que je ne connaissais pas réalisée par les sœurs Wachowski. Alors je me suis dit que j’allais regarder si c’était toujours à l’affiche, ça l’était. Je commence au premier épisode et tout de suite choc extraordinaire : je n’y comprends goutte. Obligé d’arrêter tellement c’est dense, de m'y prendre en plusieurs fois. Je mets longtemps à regarder cet épisode (et encore en me disant que je vais y revenir, y revenir, l'étudier). Réel état d’exaltation. Ça part dans tous les sens, ça me déborde, ça m'enserre, j’essaye sans y parvenir de me raccrocher aux branches, il n'y en a pas, un chamboulement, l’art renouvelé, une expérience sensorielle, je me dis : Ah ! enfin du nouveau — parce qu’il se trouve que, quand vous vieillissez, voyez-vous, vous perdez sans doute votre capacité d’émerveillement, vous vous apercevez que ce que que vous portiez aux nues, adolescent, ce qui a même changé votre vie, n’est, en fait, à présent que « c'était mieux avant », que de l’offre culturelle, rien de neuf sous le soleil, une fois que le cycle se referme, tout recommence sans s'échapper — ou rarement, d'un trait de génie — de l’offre culturelle capitaliste, l’art, the show must go on, en ce sens complice et responsable de la dévastation répandue (engendrée par la frénésie de l’accumulation). Bref, en art aussi, au bout d’un moment, on attend que ça change, on attend le renouvellement réel — ou alors, en attendant, on préfère le moins repéré, le peu publicité, le faible, pas le fort (peut-être parce qu'on a honte). Par exemple, dernièrement, un spectacle sur Edith Piaf dans la maison de retraite de ma mère, un spectacle qui ne sera jamais au festival d’Automne ni dans le in d’Avignon, ni dans « Libé », ni au théâtre de la Bastille, encore moins à la Ménagerie (et définitivement plus depuis que Marie-Thérèse Allier a disparu). Mais l'humble beauté du travail de cette artiste (dont je n’ai pas chercher à savoir le nom) habitée du sourire du talent (selon Barbara), devant — ça participait aussi certainement de la beauté — devant ce public inhumain, ce public de vieilles femmes au purgatoire — parmi lequel ma mère et moi qui lui tiens la main ou elle qui me la tient… Eh bien, pour en revenir à cette série Netflix surnaturelle qui me foutait la pêche, me donnait envie de rejoindre ce nouveau, d'appeler les copains, de rempiler, de descendre dans l'arène, ce merveilleux monde de l'art qui m'a si bien accueilli... ce n’était malheureusement pas le premier épisode que je regardais, mais le vingt-quatrième ! LE DERNIER. Je ne m’en suis aperçu que quand la très méchante a été tuée, explosant en hélicoptère, ça m'a semblé étrange, j’ai compris que ça ne pouvait pas être le début, que c'était LA FIN, ce qui m’a hélas été confirmé par la demi-heure d’happy ending insupportable (tout le monde se marie) que je n’ai même pas regardé jusqu’au bout. La magie avait cessé. C’est sûrement bien, cette série, l'image est si belle, la musique si laide, mais ce n’est rien, c’est juste une série, rien pour me sortir de mon ennui...
[Version plus courte pour IG.] J’ai lu que, Netflix, c’était mieux avant quand la plateforme lançait des projets expérimentaux, l’article donnait quelques exemples de cet âge d’or dont une série que je ne connaissais pas réalisée par les sœurs Wachowski. J’ai voulu regarder. Premier épisode, choc extraordinaire : j’y comprends que dalle, obligé d’arrêter tellement c’est dense, de m'y reprendre à plusieurs fois. Je mets longtemps à regarder cet épisode. Etat d’exaltation. Ça part dans tous les sens, me déborde, m'enserre, chamboulement, une expérience sensorielle. Je me dis : Enfin du nouveau ! — parce qu’il se trouve que, quand vous vieillissez, voyez-vous, vous perdez sans doute votre capacité d’émerveillement, vous vous apercevez que ce que vous portiez aux nues, adolescent, ce qui a même changé votre vie, n’est, à présent que « c'était mieux avant », que de l’offre culturelle, rien de neuf sous le soleil, tout recommence sans s'échapper — ou rarement, d'un trait de génie — de l’offre culturelle capitaliste ; l’art, ‘the show must go on’, en ce sens complice de la dévastation répandue sur la planète. En art aussi, on attend le renouvellement — ou alors on préfère le moins repéré, le faible, pas le fort (peut-être parce qu'on a honte). Par exemple, dernièrement, un spectacle sur Edith Piaf dans la maison de retraite de ma mère, un spectacle qui ne sera jamais au festival d’Automne ni dans le in d’Avignon, ni dans « Libé », ni au théâtre de la Bastille, encore moins à la Ménagerie (et définitivement plus depuis que Marie-Thérèse Allier a disparu). Mais l'humble beauté du travail de cette artiste (dont je n’ai pas chercher à savoir le nom) habitée du sourire du talent (selon Barbara), devant — ce qui participe aussi de la beauté — un public de vieilles femmes au purgatoire — parmi lequel ma mère et moi qui la tiens par la main ou elle qui me la tient… Eh bien, pour en revenir à cette série Netflix qui me foutait la pêche, me donnait envie d'appeler les copains, de rempiler, de descendre dans l'arène... ce n’était pas le premier épisode que je regardais, mais LE DERNIER. La magie avait cessé. Rien pour me sortir de mon ennui, un objet capitaliste de plus...
[A deux à qui j'avais donné l'envie de voir l'épisode.] Ah, oui, mais, les filles, ça ne marche que si vous êtes persuadées que c’est le premier épisode, on s’est bien compris ? Faut être sacrément naïf ! Duras racontait de temps en temps qu’elle avait été témoin de deux femmes qui venaient peut-être pour la première fois au cinéma. Ça devait être dans les années 50 et, à ce moment-là, il y avait des actualités avant le film. Mais les deux femmes n’avaient vu qu’un seul film un peu décousu certes au début, le héros assistait à un match de foot, une course automobile, le général de Gaulle recevait des délégations étrangères, etc., puis finalement l’action se recentrait autour de son histoire à lui… J’ai eu peut-être cette sensation d’un terrain vierge illimité. J’ai eu un doute assez tard, quand la vilaine (donc j’avais au moins compris que c’était la vilaine) a explosé en plein vol d’hélico et le silence de fin qui a suivi, presque un regret, déjà une nostalgie. Là, je me suis dit : Mais qu’est-ce qu’il pourrait bien se passer de plus dans les vingt-trois épisodes suivant ?… Ensuite, il restait une demi-heure d’happy endings qui m’ont gonflé, je dois dire, j’ai pas regardé… Ils baisent et ils ont de beaux orgasmes puisqu’ils sont huit à partouzer à chaque fois… Et vive l’Amérique !