On me dit que j’ai l’air
reposé, que j’ai l’air d’aller bien, on me demande si je suis amoureux,
qu’est-ce qu’il arrive ? on me flatte peut-être, mais, c’est vrai, je ne
vais pas trop mal. Je crois que j’ai trouvé le truc. Oui, il ne s’agit que d’un
truc. Vous êtes déçu ? Ce n’est que ça, cette quête du bonheur ? Un
truc ? Mais il faut le trouver. Il faut l’ouvrir, cette porte comme le disait
Franz Kafka : cette porte qui reste fermée toute votre vie, que vous
n’ouvrez pas, mais qui n’était destinée qu’à vous. En fait, c’est plus simple
que ça. Oui, c’est beaucoup plus facile que du temps de Franz Kafka. A notre époque. On vit une époque formidable. Le truc ne vient pas de moi. Vous
souvenez-vous de cette conférence enregistrée de Jacques Lacan à l’université
catholique de Louvain ? « La mort, disait-il d'une voix de tonnerre,
est une croyance ! Si vous n’y croyiez pas, comment supporteriez-vous la
vie que vous menez ? » Oui, le truc est là-dedans : croire en la
mort. Et c’est beaucoup, beaucoup plus simple qu’on ne croit, ce n’est pas
individuel, c’est beaucoup plus drôle, c’est toute la société, toute la
civilisation humaine qui souffre d’un cancer — et qui ne s’en sortira pas. Et
pas dans 500 ans, non, tout de suite — et il y a mieux encore : on ne peut
rien y faire, le cancer est installé, on ne peut plus rien, juste profiter des
derniers rayons du soleil. Eh, bien, que voulez-vous, ces derniers rayons du
soleil, ce bonheur et le miracle de les savoir derniers, ça me donne la pêche au lieu de me déprimer. Comme
il est trop tard, quoi qu’on fasse, qu'il n’y
a plus rien à tenter, c’est terminé, que la voiture ne fonce pas dans le
mur, comme on dit, mais qu'elle a déjà sauté de la falaise, alors tout devient archi drôle, archi émouvant —
si l’on croit ça, comme je le crois —, tout devient mignon, touchant, vous avez de la sympathie —
ce n’est pas de la condescendance — pour tout le monde, tous ces morts-vivants
qui font semblant de s’occuper d’un problème ou d’un autre ou encore d'un autre puisque c’est trop
tard, que c’est plus la peine. Même les hommes politiques, j'ai envie de les caresser, même les pires, même Vladimir Poutine. Lorsque j’ouvre un journal, je suis ému aux larmes, le
goût du papier, c’est fini, jamais plus ; lorsque je prends un train — ces
admirables TGV —, je me dis : tu t’en souviendras, regarde, profite, regarde par la vitre. Tout, toute cette fin
de tout, déjà là, fini comme Capri, rend les choses et les états comme d’une bouleversante soirée
d’été — et voilà pourquoi je vais fabuleusement bien ! « C’était pas la
peine... », disait Marguerite Duras dans ma jeunesse, mais, à notre époque virile, c’est
beaucoup plus simple à penser : c’est plus la peine.