L’Amour des choses mortelles
Nous sommes un petit groupe d’artistes émus par l’art des commencements, des genèses, des états d’apparition (comme disait Marguerite Duras), de ce qui advient. Pedro Garcia Velasquez, compositeur (dernière œuvre : Inicio), Philippe Gladieux, artiste de la lumière avec qui je travaille depuis des années, notamment à des son-et-lumière, Fabrice Reymond, écrivain (auteur de Anabase, terme qu'il faut entendre comme « remontée, retour aux origines ») pour le livret ; équipe à laquelle j’aimerais associer, pour la scénographie, le peintre Bruno Perramant. Je me charge de la mise en scène. Voilà donc ceux qui se réunissent depuis deux ans à Paris ou à Vézelay (résidences à la Maison de la Voix) autour d’un projet opéradique (comme l'écrit Arthur Rimbaud) intitulé (titre de travail) : Adam&Eve. Nous cherchons actuellement un (ou une) producteur (trice) délégué (e) (il y en avait un, mais qui nous a lâché). Le projet se définit sous une forme relativement légère, soit six-sept musiciens au plateau (dont un chef), quatre soprano, un ténor et un baryton. Régisseur général...
L’idée en était venue avec les chanteurs de 1er Avril, aux Bouffes du Nord, pour avoir constaté que le trio formé par la soprano Eve, le ténor Adam et le baryton serpent (celui qui fout la merde) était l’archétype que l’on retrouve dans presque tous les opéras, sans que jusqu’à présent il n’y en ait eu, à notre connaissance, de cette histoire : Adam & Eve
Ce qui nous intéresse, c’est le temps, c’est la vie unique, l’entrée dans la vie mortelle que connaissent Adam & Eve chassés du jardin d'Eden
Et ce qui nous intéresse, c’est Eve
Et, bien sûr, pas Eve, mais la femme réelle, celle qui n’est pas Eve, justement, pas cette image, non, mais la mal connue, respectée par le poète (« Plein de mérites, mais en poète / l’homme habite sur cette terre », écrit Friedrich Hölderlin) pour sa fragilité essentielle, sa non-nécessité, sa mystérieuse douleur, son existence singulière
Plus une Marie-Madeleine, peut-être, qu'une Eve
L’idée est donc de décliner le personnage selon quatre âges. Une adolescente, une jeune femme, une femme mûre et une vieillarde. Pedro Garcia-Velazquez se réjouit d’écrire des partitions adaptées aux possibilités vocales de chaque femme
Adam et le serpent, ténor et baryton, sont imaginés par Eve, déclinés ; ce sont des rêves d’Eve, des fabrications. Comme dans la nouvelle Les Ruines circulaires de Jose Luis Borges. Ou comme Sylvie Vartan qui chante, après sa mort, en duo avec l'hologramme de Johnny. Après tout, Eve est au centre de l’histoire biblique. Et, après tout, Dieu n’est pas marié. C’est un ensemble sur la beauté, l’apparition de la beauté qui n’est pas un idéal, mais une incarnation dans l’existence terrestre, mortelle (et renouvelée) et c’est un opéra aussi sur la naissance de la musique, son apparition. Comme disait Stephen Hawking récemment décédé : avant, il n’y a pas d’avant puisqu’il n’y a pas de temps. C’est depuis que nous y apparaissons, dans le temps, qu’il y a l'avant, l'après et qu’il y a aussi ce présent qui est peut-être bien notre paradis perdu
Comme l’écrit Franz Kafka avec une visée très gnostique, (c’est-à-dire proche de la parole de Jésus) : « Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu'elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile ni malveillante, ni sourde ; qu'on l'invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C'est là l'essence de la magie qui ne crée pas, mais invoque. » Dans l’évangile de Philippe retrouvé enfoui dans le désert, Jésus dit : « Ceux qui disent qu’on va d’abord mourir et ressusciter ensuite sont dans l’erreur. Celui qui n’est pas ressuscité avant de mourir ne connaît rien, il mourra. » Très justement
Yves-Noël Genod