La vie des villes – poreuses.
C’est dans cette ville que je
connais que je regarde les gens les plus étrangers. C’est dans cette
ville-monde que je retrouve – qui n’existe plus – l’enfance (de village). Et, sous les maisons
enchevêtrées. Côté rue et côté cour. Cette ville, peinte du jour.
Maisons peintes du jour.
J’ai toujours pensé que tout
me serait donné à Lyon, que je n’avais pas à bouger le petit doigt. C’est aussi
la lumière de septembre qui fait vacances, bords de mer. Elle est très belle,
la lumière de septembre.
L’échancrure des fenêtres,
les proportions. Très gracieux, balnéaire.
J’ai compris pourquoi les
régions, les pays ne changeaient pas, si lentement. Parce que les gens sont
attachés à leur enfance. Ainsi Lyon rassemble tout ce que j’ai vu ou fait. Si, un jour, je serais écrivain, ce serait
à Lyon, nulle part ailleurs.
Je vois tout à Lyon. Tout.
La ville est fraîche comme
l’aube, jamais faite, apparue, de toile et de monstre-décors.
Il n’y a personne. Il n’y a
jamais personne, c’est ce qui me frappe, à Lyon.
Personne ne m’appartient,
personne ne me veut du mal, à Lyon.
Les moineaux, c’est le parc.
Le parc est la ville des animaux. Le temps passe indéfinissable comme des gens
sous une promenade de platanes, près d’un fleuve, trois rangées.
On est dedans, on est dehors,
c’est pareil, c’est Lyon. L’amour de la vie, c’est Lyon. Le regret.
Ma mère, cette exilée.
La ville-sculpture, celle qui
n’appartient pas à l’époque. La ville-passé.
La ville sous ciel, pont de
chaque côté. La ville maigre, Manhattan maigre.
Et la Saône qui est comme
l’envers du Rhône.
J’ai déjà vécu tant de nuits,
tant de nuits en une (puisque je m’en souviens). Moi aussi, j’ai été Roméo.
Oui, la ville est un théâtre
– à un moment.
Je m’aime dans mon corps qui
meurt. C’est pour ça que l’erreur de la médecine est patente. Je m’aime dans
mon corps qui meurt.
Je suis dans le luxe d’une
vie de luxe. Et, de là, il n’y a pas à tortiller. Je peux, dans la nuit, décliner
l’offre. C’est une mise en scène pleine de vide chaud (et doré).
Shakespeare dit tout. Mais il
ne dit pas la vie des autres, il dit ta vie.
Je hais Paris, le lieu de mes
souffrances, mais j’aime Lyon, le lieu de mes souffrances.
Le grand fleuve avec les
grands cygnes.
J’aime me promener dans le
centre-ville qui est vide comme New York (les gens travaillent).
Ces grands blocs d’immeubles
minéraux, sculptures inachevées, juste agencées, les concrétions…
Ce que recouvrait la
dépression, ici, à Lyon, c’était ça : la beauté. Cheval de la beauté, vie
de la beauté, Lyon de la beauté et gazelle, hippopotame et loup.
Dans la lumière égale, dedans
comme dehors.
Ne pas être seul à Lyon,
c’est la seule qualité demandée.
Ce qu’il y a d’effrayant,
c’est qu’on peut être heureux à chaque instant de sa vie.
L’invraisemblable beauté de
Lyon fait mal à voir. Et, déjà, une ville qui s’appelle Lyon. Comment imaginer de nom de ville plus beau ? Une ville qui
s’appellerait Cheval, peut-être. Une ville qui s’appellerait Vent.
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