Bonjour à tous !
Comme vous avez peut-être eu
vent, ce stage a bien failli être annulé, il n’y avait personne. L’Afdas nous a
porté le coup fatal en l’affichant sur son site le jeudi précédent le lundi de
la deadline d’inscription. Personne n’a donc été choisi. In extremis, après avoir, avec les Chantiers
Nomades, décidé d’ouvrir quand même avec le minimum d’inscrits et en ayant
accepté les absences nombreuses des uns et des autres — ce que je n’accepte jamais —, de tout le monde
peut-être, j’ai renoncé à savoir s’il y avait même une personne qui restait la
totalité du temps à part Erik et moi —, j’ai lancé
un appel à des garçons pour compléter en « auditeurs libres » le
groupe exsangue et nous arriverons péniblement (et un seul jour sur le papier)
à seize personnes (nous commencerons à huit ou neuf). Bref, ça a ramé fort.
C’est pour moi la dernière fois que je travaille avec l’Afdas, ce ne sont pas
des professionnels. Je crois qu’il y a un détournement massif de l’argent lié à
la « formation continue », ou, tout au moins, une gabegie. Il s’agit
de dizaines de milliards. Mais on n’en parle pas, on ne parle que de
l’intermittence ; on ne parle pas de ça parce qu’une grande partie de cet
argent, me dit-on, va financer les syndicats... Bref, ce que nous avons à
faire, c’est exactement de transformer cette situation « de merde »,
comme dit Zlatan, en situation « de luxe ». Inverser. Alchimie. C’est
ce que je fais quand je produis un spectacle : nous n’avons pas d’argent,
pas de temps, etc., tout un lot de contraintes diverses et variées, que du
plomb, mais nous devons exactement substituer à l’avarice du monde un luxe
impénétrable, désiré, volontaire, mettre toute la faveur de la défaveur en
notre faveur, la décharger à nos pieds et « aimer ce que nous
sommes » (Christophe). C’est ce que je vous propose. Chaque stage est une
réinvention. Pourquoi pas cette situation ? Cette cacophonie que nous
aurons sûrement (le projet initial que nous portions depuis un an, les
Chantiers Nomades et moi, n’ayant pas porté ces fruits), cette disparité dans
les présences et les niveaux (que j’imagine), tout cela qui nous retiendrait,
nous semblerait cache-misère, le gruyère des absences, toute cette pénibilité,
cet impossible même doit, au contraire servir. Idéalement servir une situation rêvée, paradisiaque.
Pourquoi cet impossible serait-il de l’or ? Eh bien, parce que nous
travaillons avec le hasard. Sans le hasard, ce n’est rien, l’art, croyez-moi
sur parole. Donc cette situation ô combien de hasard, si nous gardons ce
cheval entre nos jambes, peut nous enchanter. « Là où croît le péril croît
aussi ce qui sauve », dit le grand poète allemand Hölderlin. Car nos
atouts sont énormes aussi. Nous voulons, à partir du désastre, réinventer une
disponibilité nouvelle, une clarté.
Je vous y aiderai, ce sera facile. Il suffit de déprogrammer ce pour quoi nous
sommes socialement programmés : le découragement. Nous serons aidé par
trois personnes. Erik Billabert, sondier — avec qui j’ai joué Monsieur
Villovitch, Blektre, Yves-Noël Genod, Haschich à Marseille… Wagner
Schwartz (la première semaine), danseur et comédien avec qui j’ai joué Chic
by Accident, Un petit peu de Zelda (version Vanves), Thomas Gonzalez (la deuxième semaine), chanteur et comédien avec qui
j’ai joué La Mort d’Ivan Ilitch.
Trois personnes de très grand talent — de ce côté-là, rien à redire :
distribution parfaite — et trois amis merveilleux. N’oubliez pas vos
partitions, vos textes, ce dont vous aurez besoin. Vos films. Mais ne prenez
que ce qui est le plus beau, Shakespeare, la Bible, Homère ou Tchekhov (etc.),
pas les contemporains de derrière les fagots qui ne nous aideront pas, les
pauvres (en règle générale). En peinture, allez voir Velázquez, par exemple
(j’en sors), les autres, c’est juste pas la peine. Prenez les plus belles
scènes (les plus connues), les plus beaux airs, n’ayez pas peur : ce sont
les plus faciles. Apportez des vêtements, pareil, ce que vous avez de plus
beau, robes de peinture ou tenues de Gala, Velázquez, Manet, Zurbarán, smoking
pour les garçons ou costard chemise blanche, chaussures, cravate ou papillon,
etc. perruque, armes, armures, robes de moine, animaux, tout ce qui est beau,
rare et menacé. Si vous n’avez rien, venez avec rien, slips blancs sans logo si
possible (à l’ancienne, c’est rare). Tout est possible, cela dit, Andy Warhol a
bien fait de l’art avec les produits bidon de cette société « de
merde » (et, après lui, Ryan Trecartin…) De toute façon, ne vous chargez
pas — ou pas trop. Que de l’utilisable, si vous avez un doute ne prenez pas.
Perruques (mais belles), maquillages, etc. Ce qui vous va, haute couture ou
haute simplicité. Dans le spectacle qui a inspiré ce stage, il y a un an, 1er
Avril, aux Bouffes du Nord, j’avais
l’habitude de répéter aux interprètes : « L’idéal, ce serait des
costumes avec personne dedans ». Oui, le costume est important, l’apparence ;
pour le reste, « l’homme est le songe d’une ombre * » (Pindare) ; ce qui n’empêche pas les intensités. Au contraire. Les morts.
Les orages. Vous vous laisserez vivre, vous ne chercherez à faire que ce que
vous savez déjà (c’est bien assez !) Instruments de musique
souhaités. Vous n’apprendrez rien. Vous ne tricherez pas. Vous jouerez (=
vivre). Vous ne pourrez pas faire semblant d’être mort. Ce sera immédiat. Le
stage sera fait en un jour (et ensuite le Seigneur se repose). Chaque jour des
nouvelles arrivées sera donc de nouveau le premier jour. On ne décollera pas du
premier jour. Nous n’aurons jamais le temps de décoller du premier jour.
« L’état de l’apparition » (Duras). Vous vous mettrez dans cet état :
tout, tout de suite et n’en sortirez pas. Rien d’autre que l’état de
l’apparition. Aucune recherche, aucun arrangement avec la vérité, que pénètrent dans vos « cœurs l’amour de la concorde, l’horreur de la guerre
civile » (Pindare encore) — passez de bonnes fêtes de Pâques !
Yves-Noël
* « Êtres éphémères !
L'homme est le rêve d'une ombre. Mais quand les dieux dirigent sur lui un
rayon, un éclat brillant l'environne, et son existence est douce. »
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