Wednesday, February 15, 2023

Hier, c’était la Saint-Valentin et, en attendant l’heure de ma séance chez la kiné (qui joue un peu, en ce moment, le rôle — alternativement tenu — de ma psy), j’ai regardé dans la rue une jolie image tout en me demandant si l’époque n’était pas en train de changer (elle change toujours) puisque ça faisait longtemps que je n’avais pas vu de sous-vêtements dentelle exposés comme ça à la portée des enfants (pas fini)
(reprise) Ça me rappelait que, du temps que j’étais hétéro, j’adorais déchiqueter les p'tites culottes en dentelle, ça m’excitait, j’en offrais aussi beaucoup. Est-ce que l’époque (d’un puritanisme criard) a changé ? Pas à ce signe. En regardant plus attentivement et en m’approchant de ma rêverie (comme aurait dit Mallarmé), je remarquai que cette jeune femme ne portait pas de poils, pas un gazon de territoire, mais, plus grave, ne présentait pas non plus de fente, comme une poupée Barbie ou un clone mannequin de vitrine… A propos, si nous nous étions interrompus tout à l’heure, c’est que le RER B arrivait à Cité Universitaire, là-même où je prévoyais de voir— et je l’ai vu — le spectacle extra de Christine Armanger, extraordinairement folle, et de Philippe Gladieux à la lumière, littéralement co-auteur de la splendeur comme il l’était dans tous mes spectacles. Le spectacle est sublimissime, inoubliable. A ne pas louper ! Il se joue encore le 17, à 20h30, et j’y serais retourné si je n’allais pas demain à la campagne m’occuper de ma pauvre mère. Allez-y voir de la VRAIE BEAUTÉ SEXUÉE, vous m’en donnerez des nouvelles !

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Je trouve normal que mes amis de gauche la lui reproche activement (ils ont raison), mais, sur moi, l’idéologie de Houellebecq, c’est comme l’eau sur les plumes d’un canard, ça ne (me) mouille pas. Et qu’on dise (parce que qu’on en vient souvent rapidement à le dire puisque ce n’est pas seulement un idéologue) que Houellebecq, c’est mal écrit (pour telle ou telle raison) ne me fait, non plus, ni chaud ni froid. Je ne sais pas si c’est mal écrit (ou bien) ; ce que je sais, c’est que c’est lisible. Que ça fait partie de ma vie. Que je me jette sur les livres, que je les lis en un après-midi le jour de leur parution, que j’aime les relire — et beaucoup les poèmes —, que je traque les interviews et les récits journalistiques pour avoir des nouvelles, que je vais voir les films où il joue, que je redoute sa disparition forcément prochaine et que c’est un cas unique disons dans ma libido. Houellebecq, c’est un déchet humain qui écrit et qui joue (en plus, hélas, de dire du mal des Musulmans, des femmes, des pédés et tutti quanti — mais je l’ai néanmoins entendu dire que la « cancel culture », ça, il était pour). Bref, un cas unique. Ou non ? (qu’on m’en trouve un autre). Je me reconnais dans le déchet, dans l’humain, dans l’écrit et dans le jeu. Par ailleurs, dans ma généreuse carrière, j’ai donné deux spectacles à partir de son premier (ou presque premier) texte Rester vivant, un stage à partir de Soumission (avec une forme à la clé qui s’est appelée : Fellation et poulet rôti), que le festival d’Automne m’avait passé commande d’un spectacle à partir des poèmes de Houellebecq auquel j’avais exigé de mêler aussi ceux de Baudelaire et bien m’en a pris : Nicolas Roux qui affirmait, au théâtre du Rond-Point qu’il avait demandé les droits ne l’avait pas fait et c’est comme ça que j’ai donné ce spectacle sur Baudelaire dans le noir total, en gardant le titre piqué à Houellebecq, Rester vivant (qui était bon, la preuve : c’était aussi, au même moment, celui d’une tournée, peut-être sa dernière, de Johnny Hallyday) et, en douce et dans le noir en glissant un petit poème ou deux de Houellebecq (en fait, le célébrissime Ma vie, ma vie, la très ancienne…), que bien m’en a pris aussi pour une autre raison (sinistre), que le spectacle est tombé presque en même temps que l’attentat de Charlie (fin décembre et le Rond-Point m’avait proposé de le prolonger en janvier — je ne sais pas — par intuition ? — j’ai décliné), que Philippe Lançon est venu le voir et a écrit un papier juste avant d’avoir la gueule détruite par une balle. Que je me souviens avec qui je vivais, avec qui j’étais neuf, dans quel appartement blanc quand j’ai lu mon premier Houellebecq, Les Particules élémentaires, que c’était un acte bourgeois, que j’allais bien dans ma vie, que je vivais avec une jeune fille — et ce que j’en ai pensé, j’étais sur le cul. J’ai dû pensé quelque chose comme : « Ah, la vache… » C’était, pour moi, dans ma vie, dans ma culture (mais pour tant d’autres aussi, comme on le sait) quelque chose de nouveau. Quelque chose de nouveau par rapport à ce que je connaissais déjà, disons par rapport à Duras… Ç’aurait pu tomber ailleurs (mais sur qui ?), pour moi c’est tombé sur Houellebecq. Dans la catégorie écrivain français. J’ai essayé Christine Angot (Duras en moins bien ?), j’ai essayé Virginie Despentes (Duras en beaucoup moins bien ?), j’aime beaucoup Annie Ernaux... en fait, je pense — et ça continue — que Michel Houellebecq me fait rire, c’en est même incroyable comme on rigole. Ce déchet humain ne se limite à rien, semble-t-il (il vient de tourner dans un film porno !) Je suis désolé : ça me fait plus rire que tout, si je dois résumer (pour résumer, je dirais comme je l'ai entendu dire d'un autre dans les « Grosses Têtes » : « En tout cas, moi, je veux pas dire du mal de Houellebecq, non, le pauvre, il n’en a pas besoin ») 

S how-biz


Gilles Collard m’a proposé que nous travaillions ensemble sur trois jours, deux début mars, et un au mois de mai. C’est un temps très court, mais c’est un temps. Je vous propose de transmuer l’étroitesse de cette durée en un gain : l’obligation de travailler dans l’urgence. L’urgence (comme plaisir) impliquant de faire confiance à ses intuitions. Le premier geste est le bon. Pas le temps d’en chercher un autre. Ce n’est pas le tempo d’un apprentissage, où, normalement, on « prend le temps » (dans la vie, nous savons que nous ne l’avons pas), mais j’ai été le spécialiste des spectacles bâtis ultra rapidement, presque en temps réel. Déjà très court, je réduisais encore le temps des répétitions en ajoutant des avant-premières (ce qui permet d’aller plus vite dans la « cristallisation »). Dans le meilleur des cas, le spectacle était bâti le premier jour des répétitions, on n’avait plus à le retoucher. On se contentait, les autres jours, de le « jouer ». Une forme collective ou pas. Il y a des sociables et des orgueilleux. Les écrivains en général sont très orgueilleux (si j’en crois mon expérience), presque par définition. Faire une œuvre collective consent un effet de troupe. Une troupe pour quoi ? pour défendre la littérature ? C’est vrai que ça ne tient pas debout… Peut-être peut-on imaginer le degré zéro de la formule collective : le plateau télé. Qui n’existe même plus depuis longtemps. Disons, la célèbre émission « Apostrophe » (ou « Bouillon du culture », par la suite), jamais égalée, à la fois pleine d’écrivains (les faux) et d’absents (les vrais). Duras l’a dit : « J’aurais juré que jamais je viendrais » au moment d’y être reçue, mais seule, pour L’Amant. Mais ni Sarraute ni… (etc.) Nabokov, mais là aussi dans un dispositif spécial. Mais Annie Ernaux souvent (etc.) Bref, en être ou pas (de la Société du Spectacle) — ou à des degrés divers  — pourrait être source d’inspiration, de jeu (et de réflexion), de prise de vitesse. Jouer à ça. Disons, apporter un peu d’étonnement, de champ, de second degré au « phénomène littéraire », mélange, peut-être, de sacré et de strass. Par exemple, quelle surprise d’entendre Cioran avouer que son éditeur lui demandait de sortir un livre tous les deux ans arguant que, sinon, on allait l’« oublier », pauvre chou. Par exemple, les performances télévisuelles de Christine Angot, de Guillaume Dustan, de Virginie Despentes : réussir très vite, tout de suite... A quel degré la littérature se réserve-t-elle, secrète, labo, dans la chambre noire de l'écriture ou se débauche ? Sans doute un partage du temps. Commencer très jeune et faire un best-seller comme dans le cas de Françoise Sagan est aussi la solution. En tout cas, ce sont des questions — personnelles — qui peuvent faire l’objet d’un débat collectif. Occuper le terrain ou ne pas. Normalement il faut du temps à chacun, les écritures sont contradictoires, mais le plateau télé (de cette époque) amenait une utopie : les écrivains peuvent échanger, mondains. Quelques esclandres, bien sûr, restés célèbres, Peter Handke engueulant Françoise Sagan, etc. Jouer avec ça, le manque de temps, le manque de préparation, mais la joie d’en être, quand même ! (devise de Sarah Bernhardt). Duras avait dit à la fin d’un spectacle où on l’avait amenée, en banlieue de Paris (à la MC93) — tout un voyage, on s’était perdus en voiture, elle avait dit : « Je crois qu’ils ont renoncé à faire des cartes » (de la banlieue de Paris) —, mais elle avait dit à la fin de ce spectacle qu’elle n’avait pas aimé : « C’est une tentative de destruction d’un texte, mais, comme le texte vaut zéro, il ne le supporte pas ». Cela supposait que si le texte avait valu quelque chose, il en serait ressorti vainqueur. (Je me souviens, de ce spectacle, qu'avait été fabriqué, pour chaque spectateur, un fauteuil entier, très confortable, avec dans son accoudoir une petite télé qui diffusait, from time to time, pas toujours, un film porno — ça m'a marqué, j'avais pas l'âge.) Et c’est vrai que, pour aller dans ce sens, je n’ai jamais vu de spectacle d'une pièce de Shakespeare vraiment raté : dans tous les cas, Shakespeare survit. Marivaux aussi (etc.) Je fais allusion à Shakespeare aussi parce que c’était la mesure, pour Virginia Woolf : écrire comme Shakespeare ou pas (elle en parle dans Une chambre à soi) (et, en effet, elle, elle y est arrivée).

Jouer peut-être à se vieillir (à s'imaginer au bout d'une longue carrière). Jouer beaucoup de la mauvaise fois et du mensonge. Marlon Brando dit dans un bout de vidéo célèbre qu'on ne pourrait survivre une seconde si on ne pouvait pas mentir. Acting is a survival mechanism. It's a social ungun and that's a lubricant. People lie constantly everyday by not saying something that they think, or saying something that they don’t think, or showing something that they don’t feel or kind of giving appearance of feeling something that they don’t actually — I said that, didn’t I. Il y avait une fois chez les Renaud-Barrault, dans la grande salle, une pièce de Marguerite Duras (probablement Des journées entières dans les arbres) montée par Jean-Louis Barrault, tandis que Claude Régy mettait en scène dans la petite salle une ou plusieurs pièces de Nathalie Sarraute. Il avait été convenu, pour faire un peu de publicité, d’organiser au théâtre, un lundi, une soirée Duras-Sarraute avec des comédiens, des spécialistes et, le clou de la soirée, c’était que Marguerite Duras allait lire un extrait de Sarraute et que Nathalie Sarraute lirait un extrait de Duras. Elles l'avaient bien sûr accepté. Et voilà que, la première, Sarraute lit Duras, très bien, et c’est à présent au tour de Duras de s’exécuter, mais, là, coup de tonnerre : « Tous ces petits mots gris, moi, je peux pas lire ça… » Claude Régy qui me l’a raconté m’a dit que Sarraute lui en avait longtemps voulu… Enfin, voilà, vous aurez compris, par ces quelques exemples, que je suis une personne d’une autre époque, disons que je me réfère aux époques qui m'ont formaté de manière indélébile (et débile, en plus) : on n’a, après tout, qu’une unique matinée de printemps. Ce ne sont là que deux-trois façons de me faire connaître, pas d’imposer quoi que ce soit, mais quand même un encouragement à jouer avec les degrés entre les choses, les ambiguïtés, les incongruités et d’accepter le kitsch de situations forcément secondaires en s'appuyant sur la confiance dans votre matériel textuel — que, puisque ici il s'agit d'une classe de jeu, je considérerai comme acquise. Mais il y a des degrés. Sarraute disait à propos de Duras : « Si je pouvais avoir le centième de la confiance que cette femme a en elle… » Les Situations secondaires, c'est presque un titre…

Bien à vous, 

Yves-Noël 


PS : Un autre thème, l'idée de faire table rase (je lis, en ce moment, les entretiens de Bernard-Marie Koltès publiés chez Minuit, où il se présente comme quelqu'un qui lit très peu, deux ou trois auteurs, c'est tout ce qu'il supporte, qui ne va jamais au théâtre...) L'idée : avant-moi-y-avait-rien (ou peut-être, mais je ne suis pas au courant...) Bref, il s'agit, sur ce « plateau télé », d'avancer soit la folie (l'art du jeune âge), soit la mort (l'art du vieil âge) ou les deux, mon capitaine ! 

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