Laurent Aimant
J’ai demandé à Benoît s’il se souvenait du nom du garnement qui était avec lui « dans le lit du curé de Cormaranche-en-Bugey », si c’était un Carrara, un Genod, un Izard… « Nous étions les seuls Izard, non, c’était un Emin. » Laurent Emin. Maintenant peut-être marié avec la fille du boulanger. Et il a repris la boulangerie. Benoît n’est pas très sûr. Ça fait longtemps qu’il n’y est pas allé. « Les nouvelles sont pas très fraîches… »
Benoît se pose des questions.
Son système bat de l’aile. Son système, c’est d’acheter des appartements, de
les retaper et de les revendre plus chers. Plus-values. Et d’en racheter des
plus grands et ainsi de suite. Mais ça marche plus. Benoît n’arrive pas à
revendre les appartements de Miami (en fait, il en a deux, j’ai appris hier)
parce qu’à Miami un appartement moche ou un appartement refait, c’est le même prix.
Un appartement meublé ou un appartement vide, c’est le même prix. Contrairement
à la France. Benoît s’est fait avoir. Il n’arrive pas à revendre ses
appartements qu’il a arrangés à Miami. Plus chers. Ça ne leur change rien, les
gens de Miami que Benoît y ait mis de sa personne. Ou non. En attendant, Benoît
les loue. Mais Benoît est coincé car il aurait besoin de liquidité pour acheter
d’autres appartements. Ailleurs. Là, où ce serait intéressant. D’en acheter et
d’en revendre. Quelque part dans le monde. Le Brésil ? Et pourquoi pas le
Mexique ? (J’essaie de conseiller, je connais un peu…) Et puis la
France ? Mais, en France, ça ne marche plus non plus, lui dit Arnaud,
son avocat. Arnaud cherche à se reloger. Il a deux enfants. Une femme qui gagne
sa vie (et qui par ailleurs est l’ex de Bruno, mais ça n’a rien à voir).
Arnaud montre l’appartement qu’ils aimeraient acheter. Cent trente mètres
carrés sur les quais de Saône presque en face où ils sont actuellement, avec une verrière, un balcon – ou pas – il y a le choix, tout l’immeuble est vendu à
la découpe. L’immeuble est superbe. C’est trop cher pour eux. L’avocat demande
les conseils de Benoît. Il lui propose de venir le visiter avec eux. A l’heure
où j’écris, Benoît doit être en train de visiter l’appartement sublime. Ou
l’autre. Il y a le choix. Un peu moins sublime (sans balcon). Mais plus haut de
plafond. Avec une verrière. Benoît a une formation d’architecte. Il sait
chiffrer les travaux à faire. Faut-il changer les fenêtres, la verrière ?
Etc. C’est un quartier où on ne peut pas se stationner. Ça aussi, ça compte.
Quand les gens viendront les voir, ils ne pourront pas stationner. Même le
soir ? Oui, le soir, c’est difficile. J’apprends un nouveau mot :
« balme ». « Du côté de la balme », c’est du côté de la
roche. Comme Lyon est magnifique, il y a ces fleuves et ces collines
(Fourvière, Croix-Rousse), il y a donc un côté fleuve et un côté balme. Les
balmes lyonnaises. La morphologie du terrain lyonnais. J’ai passé l’après-midi
à l’île Barbe. Trop beau, l’île Barbe ! C’est une île en amont sur la
Saône. Un mélange d’anciens couvents, de châteaux et de mélancolie (platanes,
terrain de boules, auberge chic, pâtisserie fameuse). Très Rouletabille, dans la
lumière de septembre. « Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le
jardin de son éclat. » Chambre jaune, Dame en noir. Parler de Benoît
me calme. C’est comme faire du tricot. Des mots-croisés. Ça me distrait, ça me
calme. C’est un sujet facile. Benoît se laisse lire, suivre à la trace. Et puis
il y a toujours des surprises. Comme le fait qu’il soit du même village natal
que moi, c’est quand même étonnant. Parce que, finalement, ils étaient même sur
la commune de Cormaranche, un moment. Le moment de la cure avec l’autre
garnement. Ils étaient sur la commune de Cormaranche, à ce moment. Le vieux
tilleul, tout ça. Avant de partir, je tente de parler à Benoît avec l’accent
des gens de mon village. Il trouve que ce n’est pas tout à fait ça. Ils disent
les « an » en « in ».
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