Ce soir j’ai été invité avec un vieux monsieur qui m’a raconté qu’il était venu pour la première fois dans ce palais en 1938, il avait 14 ans et il accompagnait un député dans l’une des loges entourées de femmes aux seins dénudés à l’avant-scène, celle à cour est traditionnellement réservée aux députés (c’est-à-dire la plus haute, celle du dessous est pour les ministres). On avait donné ce soir-là ‘Samson et Dalila’ suivi du ballet ‘Noir et Blanc’ de Serge Lifar. Ce soir de janvier 2023, on y donnait PETER GRIMES, de Benjamin Britten, et c’était, de même qu’en 1938, une soirée extraordinaire
(Ce n’était sans doute pas Noir et Blanc, le ballet de Serge Lifar de 1938, je lis que Suite en blanc renommé plus tard Noir et Blanc date de 1943. Je lis aussi que Serge Lifar était un affreux antisémite collabo)
La pièce est musicalement sublime comme il se doit. L’assemblée est une foule de gens très riches (les places sont tout de même nettement moins chères que pour cette dingue de Madonna). Je me demandais s’il y avait dans la foule quelqu’un qui avait tué quelqu’un (c’est Paul Claudel qui imagine peut-être ça dans le monologue célèbre de l’Actrice). Je pense que oui. La pièce, politiquement, contient tous les thèmes que l’époque nous impose comme grille de lecture (ce sont les thèmes de toutes les époques, en fait) : la violence sociale, la violence faite aux femmes, la violence faite aux enfants — sauf un, la colonisation, pas un Noir à l’horizon sauf à l’entrée pour la sécurité. Les LGBTQIA+ sont aussi présents puisqu’il est de notoriété publique que Benjamin Britten en était, de la jaquette
La pièce aborde principalement le thème du bouc émissaire qui certes relève d’une réalité intemporelle (je ne sais plus qui explique que les sociétés se construisent sur ce principe de la victime aléatoire), mais particulièrement déployée à notre époque
La pièce ne fait pas le récit de grand chose, seulement du martyr étiré sur plusieurs heures d’un homme accusé presque à tort par les réseaux sociaux de l’époque, les « gossips » d’un village. En montant le grand escalier et sa lumière de grotte, j’y rêvais la somptueuse œuvre de Claude Lévêque (les pneus géants dorés)
Et puis cette soirée d’hier, cette méditation sur la culpabilité et l’innocence sans doute pour assez longtemps inoubliable — arriverai-je à l’âge du monsieur vénérable ? — J’en parlais ce matin et je fis un lapsus, « Peter Crimes » (au lieu de Grimes) — a été aussi pour moi l’occasion, le plaisir de retrouver Claire Chazal au premier entracte (champagne, sandwiches de pain noir au saumon). C’est elle qui me fait un signe. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vue, car elle va le matin, me dit-elle, au cours de danse, et, moi, j’ai pris mes habitudes l’après-midi. Elle est rayonnante, splendide, entourée d’hommes. J’ai déjà raconté que la première fois que je l’avais vue apparaître (au cours), j’avais été choqué sans doute plus que si ç’avait été Catherine Deneuve (je n’allais pas tellement au cinéma, quand j’étais gosse, mais je regardais la télé). Claire Chazal, reine de l’apparence, est vraiment très forte. C’est indéniablement une star. Etre une star, qu’est-ce que c’est ? Vous en voulez une définition ? C’est répondre au précepte de la danse classique encore formulés tout à l’heure par le prof : « Je vois trop vos incertitudes. C’est normal d’en avoir, mais ce n’est pas normal de les montrer. Surtout si vous voulez survivre dans le monde de la danse ». Claire Chazal est une survivante — du monde des apparences et des illusions, de la « société du spectacle », en gros. La femme unique. Celle pour laquelle on se battait au Moyen-âge. Une chouette fille, en plus, très sympa, mais divine !
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