Lisa à cheval
« Nous perdons 95% de nos vies en n’importe quoi », dit Peter Brook et, dans mon malheur, cette perte, cette fuite de l’essentiel, il y a parfois des accalmies, des grandeurs, des splendeurs, des chambres — des grottes et des clairières. Soirée inimaginable de consolation (impossible à rassasier) dans la clairière du bois de Vincennes, à la Cartoucherie, avec la présentation du spectacle sur l’« amitié », de Laurent Chétouane, intitulé M!M (les initiales des 2 interprètes, Matthieu Burner et Mikael Marklund). Chez Laurent Chétouane, c’est un travail tellement immense, tellement intense, des mois, des années pour atteindre cette concentration de la vie que l’on demande aux plus grands spectacles — qu’il y a des soirées plus ou moins réussies (je n’en ai jamais vues de « ratées »). Celle-ci était infiniment supérieure à la première du spectacle que j’avais vue à Brest (ainsi que les derniers filages). La première à Brest était aboutissement, celle-ci ouvrait les cœurs. « Moi, j’ai compris grâce à certains spectacles que l’on peut beaucoup donner », dit Judith Chemla, l’experte française. Dans cette déréliction où je me tiens, sans spectacle, sans concentration, sans vie recueillie — mais avec toujours la sainteté du martyr —, la clairière Chétouane au milieu du cercle des arbres, journée d’orage et de splendeur, pluie d’été — je suis resté longtemps à respirer l’oxygène de l’amitié... On devrait revoir plus souvent en France son travail. On sent qu’il y a maintenant un frémissement, une mode qui nait — après tant d’années et tant de pièces obstinément inconnues alors que c’est le meilleur que la France possède chez cet artiste expatrié, dont j’ai vu cinq ou six pièces de danse inouïe. Prochaine étape : Berlin, les 30 et 31 août.
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