Q ue Lætitia
Je demandais si c’était vrai que Godard était parti avec la caisse (c’est ce que Gorin disait). Jérôme ne se souvenait pas, mais Dominique, à ma droite, les yeux baissés, presque comme en elle-même : « Godard est parti avec toutes les caisses ». Comme je l'avais déjà exprimé (ou à d’autres que vous), j’avais été épaté par la trilogie américaine de Jean-Pierre Gorin (Poto et Cabengo ; Routine Pleasures ; My Crazy Life), et pas seulement par ça, mais par sa personne elle-même, très libre, très intelligente, j'aurais voulu suivre ses cours (mais c'était au fin fond des United-States...) Et voici que je me retrouvais exactement assis, à l’opéra, à Paris, à côté d’un autre ancien du Groupe Dziga Vertov. Jérôme disait qu’ils parlaient beaucoup, tous, dans le Groupe, les petits jeunes de vingt-cinq ans, mais qu’à la fin, Godard faisait ce qu’il voulait (Dominique voyait très bien...) Et puis, à Rome, Anne Wiazemski était sortie avec un autre et, ça, ça avait été un coup dur pour Godard. Et puis l’accident de moto, c’était Gorin qui conduisait et Godard avait eu des séquelles pendant des années (à la vessie). Et puis, parfois, ces petits révolutionnaires, avec leur paye, ils allaient dans un restaurant gastronomique, ça les amusait (j'ai oublié le nom du restau, je pourrais redemander). L’opéra défilait ses surtitres : « La sirène passe et vous entraîne / sous l’azur du lac endormi ». Dominique racontait une histoire (mais c'était peut-être plus tard) que lui avait narrée Polanski (qu'elle croise à l’Académie) : « C’est un type assez connu qui se retrouve en EHPAD et il parle avec une autre résidente, mais, au bout d'un moment, il s’aperçoit qu’elle ne semble pas le reconnaître. Il lui dit alors : « Est-ce que vous savez qui je suis ? » « — Non, mais l’infirmière passe dans dix minutes, elle vous le dira certainement ». Et puis en rentrant déjà si tard et après tant d’heures d'opéra et de projection, j’avais encore regardé The Irishman, sur Netflix. C’était incroyable comme cette bande de vieillards pouvaient encore jouer les durs dans un dernier film ! Par dessus moi, je me souvenais, Jérôme avait dit à Dominique que le militant de Sainte-Soline dans le coma était le fils de Jean-Pierre. Pas Gorin, un autre. Serge. Un Jean-Pierre qui avait fait le Larzac. Jean-Pierre Gorin avait dit que, moins on a d’argent, plus on a d’idées, et je me retrouvais à regarder un opéra très friqué, très beau, mais me plaignant intérieurement du trop d’argent dépensé. Si je montais un opéra, je le ferais avec rien, fidèle à ma devise : « Le rien, mais comme splendeur » (qqch comme ça). L’argent est vraiment une sale chose. Peut-être même que mon opéra coûterait aussi cher, mais, à la manière d'Andrée Putmann, ça ne se verrait pas. A Arielle Dombasle qui faisait remarquer que le projet pour la maison de Tanger allait coûter très cher : « Oui, mais mon travail est de faire que ça ne se voit pas » (je tenais cette histoire de Stéphane). Vous en voulez encore ? Eh bien... Aurais-je pensé un jour dire ce genre de phrase ? Dominique, non contente de m'offrir la place ultra chère à l'opéra, m'avait offert un legging très joli, fines rayures rouges verticales sur fond blanc, de Comme des garçons. Taille M. Si ce n'est pas la bonne taille, tu peux le faire changer (j'ai hésité avec le L). — Je pense que peut-être le S... — Ah, non, le S, c'est trop petit : je l'ai pris pour Lætitia... — Elle a plus de hanches que moi, Lætitia... Vous voyez qui ? LA Lætitia, la Callas de la mode, la doublure de Bardot, la sirène corse, la Marianne de l'an 2000, la taupe modèle... Voilà : Elle a plus de hanches que moi, LÆTITIA !
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