Un dessert d’évidence
Là-haut dans les lendemains
bleus (On High In Blue Tomorrows)
Le monde en décision
Je vais aller à Albi, je vais
choisir un nouveau roman de Françoise Sagan dans une librairie. Voilà. Ça
m’aide pour écrire. Françoise Sagan. C’est assez loin de moi, alors, ça m’aide.
Ce que j’écris en pensant Françoise Sagan, c’est possible, pour moi, de le
relire. C’est si complexe, tout. Le tout. Ce n’est que complexité. Alors, il
faut s’aider. Oui, du tout de la complexité, il faut s’aider,
s’« entraider ». Le chien gémissait à l’arrière de la voiture.
« Oh, pourquoi le chien pleure-t-il ? C’est parce qu’il quitte
Dolly ? Il est vraiment amoureux, alors. Qu’est-ce qu’il s’en passe dans
la vie d’un chien ! » Tout à l’heure, il ne voulait pas descendre de
la voiture. Il a un problème avec le chien noir qui vit avec Dolly. Eh, bien,
oui, il aime Dolly, alors, il a un problème avec le chien qui vit avec Dolly.
En permanence. Le mari de Dolly, en quelque sorte. Peut pas le saquer. Voulait
même pas descendre de la voiture. Pour éviter les histoires. Puis il est quand
même descendu. Dolly si fraîche, si ravissante. Si innocente… Se méfier du chien noir. Pas d’esclandre (ce serait
mal vu – mal venu). Chien affreux qui veut faire semblant d’être copain. Je te
déteste. Je me méfie de toi. Tu es nul. Tu ne comprends pas Dolly. Moi, je saurais
rendre Dolly heureuse. « Mais elle est heureuse, enfin… – Elle est heureuse parce que je
suis là. – Non, elle est heureuse tout le temps. C’est sa nature d’être
heureuse. Elle est heureuse même quand tu n’es pas là. Que ça te plaise ou non.
– Ça va. Je le sais. Je sais qu’elle est heureuse toujours, même quand je ne suis pas là, c’est bien pour
ça… » On a été voir les chevaux. Non, je ne sais pas écrire. C’est
très curieux. Je n’y arrive plus.
Serait-ce que ? Alors, je vais regarder des films. Je m’en fiche, je vais
regarder des films. Je me suis baigné plusieurs fois dans le Tarn, aujourd’hui.
Et j’ai beaucoup pris le soleil. Peut-être trop. Je me sens bizarre. J’ai
encore chaud. Je ne sais pas où j’en suis. Il est vingt-trois heures. Je vais
ouvrir la fenêtre. Les fenêtres.
J’habite dans la tour. J’ai nagé en regardant mes fenêtres. Dans la tour. Toutes les fenêtres du
château étaient ouvertes, mais, à mon étage, non, il n’y avait que les miennes.
C’est pour ça que je les ai reconnues. Il faisait si chaud. J’ai nagé au milieu
de cette poussière dont j’ai déjà parlé. Probablement du pollen (me suis-je
dit). A moins que j’aie effacé le mot « poussière », c’est possible.
J’efface beaucoup de choses dans ce que j’écris. Beaucoup, beaucoup de choses.
Beaucoup de choses que Liliane Giraudon ne lira jamais dans ce que j’écris pour
Liliane Giraudon. J’efface jusqu’à mon identité. J’ai nagé dans la poussière jusqu’au barrage. La
sœur, la sœur de Babeth m’a expliqué qu’on pouvait profiter du barrage. Il y a
juste un endroit, à droite, qui est un peu dangereux. Il y a des anneaux au
fond, des anneaux métalliques. Il ne faut pas plonger, mais juste à cet
endroit-là. Son cousin s’était fait scalper. Elle dit cela, elle est mignonne,
la sœur de Babeth. Avec ses géraniums. « Ils sont jolis, vos géraniums… –
Oui, ils manquent d’eau. Tout manque d’eau, il n’a pas plu depuis des mois… –
Comment vous appelez-vous, déjà ? – Oh, Babeth, vous le faites
exprès ! C’est très facile à retenir, Genod, vous dites toujours que, quand je serai vieux, je
serai toujours Genod. – Oui, mais
le prénom ? – Yves-Noël. – Ah, oui, Yves-Noël… – Ne continuez pas, Babeth,
parce que je finirai par vous croire, sur Alzheimer… – Non, non… Oui, oui… Ça
vous dit de venir avec moi ? » Je n’ai pas faim. C’est bizarre. J’ai
dû prendre une insolation. Je m’en fiche, je vais voir des films. Et puis
demain j’irai à Albi. Chercher un livre de Françoise Sagan. Ça m’ennuie de lire
autre chose, en fait. Je suis fan. J’ai tout raconté pour aujourd’hui. Les
chevaux aussi.
Ruiner, ruiner les évidences.
« Seems like only yesterday I was carrying my own weight… » Le désir
et l’absence de désir et le corps, cette limite, cette limitation à deux
jusqu’à la mort, dit-on (dicton). Une femme reste folle. Inévidence. Folle, du reste. L’appétit. Vient en mangeant.
Credence. Ce film terrifiant de bon sens, je ne peux pas le regarder plus d’une
minute. Oui, même jusqu’à la mort, oui, il y a la 2D, mais pas seulement. Simplement.
Si l’on limite le cadre, alors, déchire, comme l’eau. Qu’est-ce qui est
déchiré ? Versailles ? « Versatile »…
« vitesse »… C’est vrai,
c’est le métier. Creedence Clearwater Revival.
Oui, le dehors, liquide comme
les yeux.
Oui, Albi qui n’existera pas…
C’est une campagne, ici, je
dirais : Corot, Millet… Il y a des chênes magnifiques… Et puis ces
platanes si vivants… On dirait des bêtes autour du château… Cris d’oiseaux
étranges, dans ces platanes. Comme des parasites… Ce qu’il y a de fou, dans
cette « région », c’est qu’elle est un pays, un pays clos comme une
famille. Il n’y a ni pente ni bord. Le Prisonnier. D’une famille sans recueil, sans bords. Sans
limites. Sans mort.
Tous sont au cimetière,
encore présents. Et dans les yeux
du château. On peut demander la carte que l’on veut. Avec le nom que l’on veut.
C’est ainsi. C’est ainsi que « Tante Angèle » se trouve sur la carte
– comme titre – mais pas dans la
carte. Ce n’est pas un oubli. L’explication.
Oui, toi… Si tu t’avances,
même toi. Où donc tu ressurgiras ?
Le dégât des eaux. Nous ne
sommes pas assurés. Sur trois étages. Il ne faisait pas froid.
Le soir, de minuscules
libellules, mais d’un bleu minuscule aussi. La cloison de la forêt. Il y a tout
le plein été et, la nuit, les fenêtres ouvertes. Le grand château de l’origine.
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