Mi cuerpo

« Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques, »

Pêcher des acteurs

Salut Yves-Noël,

J'ai rêvé de toi, ou, plus exactement, d'un de tes spectacles...

En disant « d'un de tes spectacle », je sous-entends par là que comme tu fais du « théâtre quantique », il est tout à fait plausible que tu mettes en scène également dans cet espace aussi improbable qu'est mon rêve !

En tout cas bravo : quel succès ! Le public ravi, c'était magnifique : beaucoup de nature, beaucoup de vie.

Il y avait un aquarium géant sur scène, par moment la scène était un aquarium, avec des vrais poissons, géants eux aussi ! Une actrice pêchait au filet et relâchait les monstres à la flotte ensuite. Certains acteurs se baignaient avec les poissons, il arrivait donc qu'elle pêche un acteur. Mais tout cela était prévu, évidemment, enfin, pas tout à fait, mais on sentait que c'était une improvisation maîtrisée... Tes acteurs sont des pros.

Il y avait un cours d'eau au loin où les acteurs pouvaient se baigner. Et puis beaucoup de verdure, chapeau pour la scénographie !, par moment j'avais l'impression d'être dans une vrai forêt. D'ailleurs, je me demande si tu n'as pas fait d'un site naturel un théâtre, plutôt que d'un théâtre un « site naturel ».

Moi aussi je jouais dans le spectacle — bah oui, faut pas déconner c'est ta mise en scène, mais c'est quand même mon rêve... — et j'étais à cheval !!! Je faisais une entrée magnifique, épée à la main, et j'étais à poil aussi évidemment.

Ensuite, je me rappelle plus trop de quoi il retournait dans le propos, mais c'était jeune, vivant, un coté paradis-perdu.

Bon, voilà, je voulais juste te raconter mon rêve, même si c'est pas utile puisque c'est toi qui l'a mis en scène, je suis con quand même de t'écrire un truc que tu sais déjà.

Bref, je t'embrasse bien fort from Warsaw, et à bientôt j'espère. Phil.

Oh, c'est bien joli, ton rêve, Philippe ! Moi aussi, je rêve que je fais des spectacles, très, très souvent, cette nuit par exemple. C'est toujours merveilleux. Cette nuit, c'était une répétition, la première d'un nouveau travail et c'était tellement prégnant que je me suis réveillé en regrettant qu'on n'ait pas filmé ! On en refera des spectacles ensemble, mon amour ! J'ai voulu me réconcilier avec Felix, by the way. On devait se voir à Paris, mais on s'est loupé, il joue à Paris en ce moment, mais je suis maintenant au Mexique. J'ai vu hier un film qui m'a bouleversé (et j'ai rencontré aussi le réalisateur Carlos Reygadas) : Post Tenebras Lux.

Félix m'a écrit qu'il avait perdu contact avec toi et qu'il regrettait...

C'est bien que vous vous réconciliez.

Oui, on a repris contact, ça va, mais on s'est loupé quand même (physiquement). Mais ça va...

Post Tenebras Lux, j'ai pas vu mais, puisque tu en parles, je vais m'y intéresser.

Jacek me recommande auprès de Warlikowski !

J'espère que ça va marcher et qu'il me prendra pour son prochain spectacle.

Ce serait génial !

Ah, oui, t'as intérêt à travailler avec Warlikowski ! je viens de voir sa Médée (opéra de je sais plus qui), c'était GE-NIAL ! Cabaret ! Trop bien ! Je veux ! Je veux que tu y sois ! Apprends à danser !

A chanter surtout...

Oui, ben ça, ça va...

Il m'auditionne pour la version jeune du maître de cérémonie.

Parfait !!!

Croise les doigts !

Et tout ce que tu peux croiser...

Oui ! Ça sert à rien que j'envoie un petit mot... Tu seras bon et puis c'est tout ! Je le sens !!!

Un petit mot ?

Ah, oui, parce que tu le connais, tu veux dire, à lui ?

Bah, je sais pas, pour l'instant il faut que je lui envoie une vidéo avec un monologue.

Je trouve ça con de pas me rencontrer en personne, j'ai pas de démo de théâtre donc je peux pas lui montrer ce que j'ai fait...

Mais je vais enregistrer un truc et on verra.

Bon, je fais passer un mot, ça peut pas faire de mal, pour dire que je te trouve exceptionnel. Il a employé Felix, d'ailleurs, mais il l'avait rencontré dans une soirée (où j'étais, je me souviens, Felix l'avait dragué à mort) et son vidéaste, Denis Guéguin, l'avait vu jouer chez moi. Fais ton best, ça devrait marcher (si Jacek déconne pas...)

J'enregistre un petit Jelinek pour lui et on on verra ce qu'il en pense.

Merci pour le mot, je sais pas si c'est vraiment utile, mais c'est vrai que ça peut pas faire de mal.

Denis chéri, tu peux faire passer ce message à Krzysztof — ou me donner son contact ? Y a un acteur à moi que je trouve exceptionnel (et que j'ai employé en duo avec Felix) qui va auditionner pour Cabaret, c'est Philippe Tlokinski, il est franco-polonais et il chante (et joue surtout) très très bien. Krzysztof devrait s'en apercevoir par lui-même, mais Philippe me dit qu'il ne va pas le voir en personne (mais sur vidéo). Je pense que Krzysztof devrait le voir ! Il est d'une beauté renversante. C'est un ami de Jacek et il vit en Pologne en ce moment... Il fait des séries télé, ça lui ferait du bien de travailler pour de bon ! Je croise les doigts. (Je l'adore...) 



Ça va être plus dur qu'imaginé ! Mon ami Denis à qui j'ai demandé de transmettre un message à Krzysztof l'a fait et répond maintenant : « Il connaît. Pas intéressé... » Tu peux peut-être jouer le grand jeu d'Isabelle Huppert qui l'a tanné pendant des années, c'est vrai, pour travailler avec lui (il n'était pas du tout intéressé par elle) et qui est finalement arrivée à ses fins — mais ça risque de prendre du temps... Pour moi, tu es le best, anyway !

L’Agence de voyage

« De manière générale l’imagination, comme on peut l’observer à propos de l’exotisme et de la nature particulière du plaisir qui s’y rattache, est comparable à une agence de voyages qui propose un choix illimité de dépaysements sans frais, mais n’a prévu à son programme aucune excursion hors du réel. »

Autoportrait au Mexique

Lumière et ténèbre

Je viens de voir un film qui me bouleverse, un des plus beaux que j’ai vu de ma vie. Je n’ai qu’une hâte, c’est de le revoir... Il est de Carlos Reygadas, le cinéaste le plus important du Mexique, me dit-on, et que j'ai rencontré hier matin sans le savoir chez Eva ; il s’appelle Post Tenebras Lux et je viens de lire des critiques françaises, « Libération », en particulier, quelqu’un que je connais, Didier Péron, qui trouvent que c’est le dernier des navets. Je me dis alors que je suis nul. Je n’ai pas d’autre explication. Je suis nul. (Mais je vais me précipiter — quand même — pour me baigner encore dans ce film et dans ma nullité qui s’entendent si bien...)