Je suis en Suède. Chez Antonija Livingstone. Christian Rizzo me demande si je peux lui écrire un texte sur le travail qu’il n’a pas encore présenté, mais dont j’ai vu un filage il y a déjà quelque temps dans un studio près de Paris. C’est un honneur. Le nom de Christian Rizzo claque dans mon imaginaire comme ceux de Dior, Lacroix... Christian, que je connais, est de cette veine, de cette eau, de ce bonheur, de cette chance. C’est ainsi qu’il habille une danseuse énorme de beauté, devenue elle-aussi une amie après que nous ayons travaillé ensemble l’année dernière pour un spectacle intitulé : "Nouveau Monde" dans la fontaine du Parc de Chamarande. Là où j’avais presque laissé, pour l’habiller, la nature de l’air et de la lumière et de l’eau qui mouillait ses vêtements – Christian réinvente un monde artificiel, inédit, pas connu, pas tourné vers le passé ou sans qu’on y soit. On dirait qu’il ramasse d’une intuition précise quelques éléments de la culture superficielle, celle qui compte, celle des enfants, des artistes – des autistes aussi bien – pour en convoyer absolument le message aux étoiles. Il a choisi comme véhicule une femme, « une Ferrari », comme dit notre professeur commun, Wayne Byars, à elle et moi, « une Ferrari, pas une deux-chevaux, mais qui se conduit de la même façon », voulant par là, un jour, m’encourager à la diriger selon le code de la danse classique. Donc une « Ferrari », un véhicule, c’est vrai, de la plus haute technologie, ce que l’on fabrique de mieux, pas pour soi, ici-bas, pour les exoplanètes, les projets, les rêves, le sexe… On perce l’espace avec le désir, mais aussi avec les rêves, l’amour, la projection (le cinéma), la mort, l’inconscient – pas celui de Freud -, la littérature, la religion – pas celle des larmes -, la guerre – pas celle des armes -, la virilité, l’enfance, la danse. Le doute. Christian Rizzo, dans la version que j’ai vue, se tient à l’intérieur de son œuvre comme un lapin, un gardien... Un lapin. Est-ce pour signifier que l’œuvre est oblongue, un terrier, un puit, une spirale ? D’autres éléments, le train d’une musique (Gérôme Nox), la lumière, survacillement de bougies (Cathy Olive) semblent indiquer que la pièce avance et, certes, les quelques uns qui étaient là, nous en avons eu la sensation, suivant Julie, mais à l’intérieur d’elle-même, l’environnement, l’habillement comme à l’intérieur ; la pièce sans violence aucune, mais comme d’une grande sérénité semblant forer, semblant tourner, partir, s’évanouir en spirale en nous laissant, nous, anciens Terriens amicaux, le message d’un amour, le message d’un poème.
Notre milieu (comme sans doute tous les milieux) suscite la jalousie et c’est pourquoi on ne me demande, en général, que de dégommer mes soi-disants rivaux. En continuant certes de toujours répondre à la demande, de Christian Rizzo je ne pourrai jamais faire autre chose que l'éloge car il est le plus grand d'entre nous malgré sa petite taille. Le seul peut-être génie, le seul capable de défaire la malédiction, celui qui nous sortira de l’ornière ou nous y laissera, le seul qui me fasse rêver, dont le regard est tourné vers un monde généreux, superficiel, intense et léger comme la beauté, - je ne dirais pas : « le monde de l’esprit », je dirais : « de l’apparence », celui de l'étoffe de l'univers, celui de la dernière mode parisienne aussi bien, celui de la création, mais pas au sens biblique, au sens du renouvellement permanent de l'étoffe de l'éternelle nouveauté.
Je ne sais plus à quelle époque – peut-être les années soixante-dix –, dans une interview, on demandait à Jeanne Moreau pourquoi elle ne jouait pas plus souvent au théâtre. Elle répondait : « Vous en connaissez beaucoup, vous, au théâtre, des Joseph Losey ou des Orson Welles ? » Julie Guibert a raison de soudain travailler avec Christian Rizzo. C'est une rencontre.
Yves-Noël Genod. Lundi 21 mai 2007, Hedvigsdal.
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