Thursday, April 28, 2016

L e Sacrifice


Aujourd’hui la bibliothèque est fermée, grève générale. Alors, j’erre. Je me rends compte — mais il est tard déjà — que j’ai dû passer encore à côté d’une manif. Rien ne m’intéresse de tout ça. Bien sûr, il faut les faire, ces manifs, mais, moi, je vois tellement la dictature en filigrane, la mort en filigrane, c’est vrai, la politique me déprime, la vie sociale, l’Etat, l’état. J’ai inventé le stress et le stress m’invente des maladies, c’est ce qu’on me dit. Mais je lis le récit de cette vedette de l’Opéra-Comique avant, pendant et après la Révolution, son attachement à la reine et j’aime Paris pour ses traces. Boulevard des Italiens, c’est parce que, quand la troupe s’est installée salle Favart, c’était encore la Comédie-Italienne qu’elle s’appelait, même s’il n’y avait plus d’Italiens parmi elle. J’étais dans un centre de radiologie très chic et délabré, avenue de l’Opéra, au 13, je crois. Dans l’immense salle d’attente de palace, de palais délabré, j’ai lu une interview de Régine, Régine qui était encore ce genre-là, courtisane, je me disais (mais elle n’est pas morte, sans doute). Je serais bien resté toute l’après-midi dans ce luxe décrépi, ces magazines de luxe et ces espaces, « Le dédale de couloirs souterrains, d’escaliers cachés et de portes dérobées permettant au personnel d’aller et venir en toute discrétion ». A un moment, en 92, je crois, les gens qui étaient de son côté, du côté de la reine lui ont conseillé de sortir, de se montrer. Elle est donc retournée à l’Opéra-Comique avec ses enfants pour revoir la Dugazon dans je ne sais quel mélo et Madame Dugazon qui jouait une domestique, une soubrette, une paysanne s’est tournée vers la loge royale et regardant la reine dans les yeux (la reine qui pleurait), la main sur le cœur lui a chanté : « Ah, combien j’aime ma maîtresse ! » L’allusion a été comprise de tous et aussitôt des Jacobins sont montés sur scène à la poursuite de la Dugazon qui en réchappe de peu. Il a fallu évacuer la reine. Ce fut sa dernière sortie… Sur les résultats, il est écrit : « Echographie abdominale et rénale sans anomalie visible. Par contre, il existe une très importante aéro-iléocolie diffuse. » Tout est là, encore de manière diffuse, la maladie ou l’esprit, la mort ou la vie. Ce soir, je vais voir Jacques Weber dans un monologue de Beckett, que c’est triste, le théâtre... Mais j’y pense, la grève générale, pourquoi attendre comme ça dans des non lieux, dans des non espaces (le centre déchiqueté de Paris) s’ils ne jouent pas ? Jacques Weber peut-être fera grève — ou peut-être pas — mais les techniciens certainement… Non ?* Il faudrait que tout le personnel, tous ceux qui servent partout, dans les magasins, les banques, tous ceux qui ont des chefs arrêtent de servir. D’un coup. Plus de service. Rien. J’ai assisté à une scène chez Colette. Une fille super bien habillée, mais qui ressemblait à la marâtre de Blanche-Neige (ça a un charme) s’est mise à gueuler sur les serveuses. Le Diable s’habille en Prada. J’ai cru d’abord à une cliente. J’ai trouvé que la mode n’évoluait pas des masses, quand même, en me retrouvant chez Colette. Y-a-t-il une avant-garde ou le luxe, c’est simplement le fric — et le fric — et le fric encore ? J’ai quand même acheté un bermuda rose et son pull assorti, en coton, pour la Corse. Qu’est-ce que j’achète pour la Corse ! Ça a intérêt à ne pas être annulé, cette année. Je n’aurais nulle part où aller. Les nuits chez les Krantz, chez les Beausoleil, les déjeuners (vers trois heures) au Café de la Plage, les apéros à l’hôtel des Roches. A la table d’à-côté ou plutôt à la même, allongée, j’entends : « Qu’est-ce qu’ils pensent, les Marocains, de la banque mondiale ? » Moi non plus, ça ne m’intéresse pas de savoir ce que pensent les Marocains de la banque mondiale. (Ne m’intéresse que la question.) Des touristes parlaient avec des immigrés. Ils s'en vont. Je mange beaucoup, beaucoup de chocolat en ce moment. Mon amie Dominique (qui m’a refilé le virus) dit qu’elle arrête. Elle veut perdre cinq kilos (operación biquini). Moi, je me bourre de tablettes, j'avale d'un coup ; je dévalise les magasins, ils étaient en rupture de stock pendant quelques jours d’une marque que je ne connais même pas... Lovechock peut-être... c’est chez Naturalia, c’est nouveau, un chocolat cru aux éclats de fèves et au sel marin, mon Dieu ! Et il y a une petite pensée avec chaque tablette (comme les papillotes). Tout à l’heure, j’ai tiré : « J’ai confiance dans le processus de la vie ». D’écrire, de vous écrire ma maladie, ma dépression me rend heureux, alors pardonnez-moi. Je vais y arriver, on va y arriver. Il faut des animaux. Les animaux vont nous sauver. Les animaux acceptent l’extermination, le sacrifice...



* Finalement, la soirée s'est révélée exceptionnelle. 

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