J’avais suggéré que Gisela devait se faire tatouer, sur l’autre bras, une colombe. Nous n’étions pas retourné à Copenhague, en ce sombre dimanche, malgré mon insistance. Il y a une xénophobie absurde, ici. Les gens d’ici – et Johannes lui-même n’y était jamais allé (c'est à vingt minutes) – trouvent Copenhague moche, débile, sans intérêt. Il se produit évidemment avec ces pays si peu peuplés le même chauvinisme surnaturel et dangereux qu’on trouve en Suisse : mon village est meilleur que le tien. Bref, nous n’étions pas à Copenhague et, comme il n’y a rien à voir à Malmö, je remarquais toute la journée les corbeaux sur les pelouses que j’appelais « Gisela, Gisela… »
Copenhague est la capitale féerique de
L’Invitation au voyage. Johannes avait reconnu devant Iggy (son collègue de bureau, pur Suédois, pur débile) qu’à sa grande surprise, la veille, il avait trouvé les gens très beaux. Ah bon, disait Iggy, peut-être qu’alors Copenhagen a changé… Iggy a vingt ans, mais il a déjà un enfant (merveilleux, Leo) de sept ans. Il trouvait absurde de n’avoir pas quasi le même âge que son enfant, il l’a exprimé ainsi à ses parents… Donc il est extrêmement jeune avec un enfant presque de son âge.
Gisela, c’était l’une des possibilités pour le dimanche, qu’elle nous ouvre le musée où elle travaille (tout est fermé, le dimanche) et où se prépare une exposition intitulée « Change of Scenes », le Moderna Museet. Mais je ne voulais pas revoir Gisela, nous avions dit trop d’horreurs sur son compte la journée précédente, moi surtout. Johannes qui avait lu mon texte sur mon blog trouvait qu’il aurait été plus drôle si on avait mieux senti que cette haine, ce dégoût venait d’une jalousie certaine. C’est vrai, c’était vrai, en début de soirée, Gisela m’avait beaucoup plu et j’avais certainement rêvé, c’est évident, à finir la soirée avec elle… Elle m’avait écrit au stylo-bille, sur les premières phalanges des doigts, à main droite LOVE, à main gauche HATE et j’avais savouré d’avoir ma main enserrée dans la sienne, c’est si rare. Puis, dans la soirée, elle s’était pendue à moi et m’avait cassé le dos. Ç’avait été fini… LOVE et HATE avaient été très bien écrits, en lettres presque gothiques…
J’avais encore développé ma vengeance, pour amuser Johannes, toute la journée. Je faisais mine d’écrire ou menacer d’écrire (à la plume et au venin). J’allais révéler le nom de sa copine : Miriam, j’allais titrer
Gisèle versus Myriam, j’allais écrire des phrases comme : « …car elle ne lira jamais le blog, cette pauvre
analpha
bète… » en soulignant
anal et
bête – ça amusait beaucoup et effrayait Johannes… Mais Johannes continuait de m’alimenter avec des détails répugnants que je ne peux même pas raconter ici. Si, quand même, une chose : Iggy était très étonné que le sida s’attrape par le sperme, il pensait que ça ne s’attrapait que par le sang. Donc il pratiquait lui aussi ce qui a l’air de se pratiquer de manière assez générale, ici : pour éviter d’avoir un enfant, se retirer et jouir dans la bouche. Les Suédoises avalent.
Sur le carton de l’exposition « Change of Scenes », on voit un tableau de 1918, de Nils von Dardel :
Den döende dandyn,
The Dying Dandy. Johannes m’explique que c’est un homosexuel qui se marrie. On voit, en effet, un jeune homme mourrant entouré de femmes et tenant à la main un miroir, tandis qu’un autre homme efféminé le pleure un peu en retrait. Le jeune homme allongé, le visage blême, jaunâtre, aux traits curieux, dessinés et aux cheveux noir corbeau est le portrait craché de Pierre, Pierre Courcelle qui, lui, semble avoir fait le chemin inverse – l’époque a changé – : retrouver son dandysme… Un dandysme ancien et désuet, le va-et-vient des incarnations des âmes, un jour Barbara, un jour Virginia Woolf, un jour Fernando Pessoa… Les hétéronymes… Qui était-elle, qu’avait-elle été la petite Gisela, la petite Annabel Lee d’Edgar Allan Poe ? Dans ces bars déserts de dimanche soir où nous avait rejoints Natacha (de retour de Stockholm), je regrettais de ne pas revoir Gisela… J’avais aussi une phrase que m’avait apprise Johannes en allemand – puisque Gisela aimait qu’il lui parle allemand – : « HAST DU DICH GEWASHEN ? » « As-tu pris une douche ? » Il l’avait écrit en capitales sur mon carnet. J’apprenais, quant à moi, du français à Iggy : « Je voudrais coucher avec toi. » Il prononçait parfois « toucher » ou « coûter » et parfois rien du tout : « Je voudrais avec toi. » C’était un plaisir de l’entendre répéter cette phrase sans penser à mal… J’étais au bord de l’engager…
Dehors, la pluie, la merveilleuse pluie qui fait les âmes se réunir.
Le gros chat mort qui avait faim.
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