Tuesday, July 17, 2012

Sous la falaise, au bord de la piscine



« Nous SOMMES à Paris », disait la petite fille engoncée en effet dans une voiture flottante. Sous la falaise monumentale qui touche le bleu du ciel, je songeais à ma vie. A l’organisation, pour les heures qui venaient, de ma vie molle. Aidé en cela par le très faible électromagnétisme de communication de la région… Irai-je ? Mangerai-je ? Ok, j’avais fini par dire au serveur, à table, puis, ensuite, à une femme en bas de l'escalier : « Mon frère se demande si vous serez là ce soir… » – que, oui, oui, ok, c’était décidé, je restais (les gens d’Avignon n’étant plus aptes à faire pression), « pour la cuisine… » Je n’avais plus faim du tout. J’étais monté faire une sieste dans le dortoir. Lolo était arrivé pour faire des menus travaux d’électricité, de « remise aux normes », comme il me l’avait expliqué. Quand il m’avait vu dans le dortoir, il s’était excusé et m’avait promis de ne pas faire de bruit. Et en effet. Ce dont Lolo n’avait peut-être pas conscience, c’est qu’il parlait en travaillant. Il commentait tout ce qu’il faisait, il se parlait à lui-même, il parlait aux choses. Il me parlait aussi puisque je l’entendais parfois dire : « Ah, sorry, là, ça va faire un tout petit peu de bruit… a little bit of noise. » On s’était parlé d’une manière un peu floue, en franglais. Ce dont Lolo n’avait certainement pas conscience, c’est que mon père parlait aussi en travaillant. De la même façon. Tout un mélange dans ce lit de colonie de vacances, la sieste où me revenaient mes expériences érotiques – c’était l’heure du Faune – et l’intimité de la vie de Lolo dont la qualité sonore, d’une surnaturelle tendresse, est impossible à transmettre. Cette qualité venant de la qualité de l’écoute. Bien sûr. « Allez, je perce un dernier trou et j’aurai fini. » Lolo était revenu me voir : « Dans un quart d’heure, je disparais. » J’avais expliqué à Lolo qu’il pouvait faire tout ce qu’il voulait, que j’étais en vacances et que je n’étais pas stressé. « Ah, il m’avait dit, il y a deux sortes de gens : ceux qui ne sont pas stressés parce qu’ils sont en vacances et ceux qui sont stressés PARCE QU’ils sont en vacances. C’est merveilleux que vous fassiez partie de la première catégorie. » Oui.
Non, les vacances ne m’ont jamais stressé, moi. Je suis immédiatement au paradis. C’est pour ça que les gens d’Avignon attendront. D’ailleurs je sens que le monde de l’art va beaucoup, beaucoup m’attendre dans les prochains mois. Je reviendrai comme Hedi Slimane avec un contrat de 75 000 euros par mois. Ou rien. Le très luxe ou rien (idée que j’ai déjà développée). Probablement rien.

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Je suis revenu à la maison. Rincé ! Avignon, super, mais rincé ! Hier je me suis enquillé quatre spectacles dont deux chefs d’œuvre. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? J’ai fini, comme tous les ans, au bar du In à mettre la main dans la culotte des pédés (heureusement zéro résultat sans ambiguïté cette année). Les deux chefs d’œuvre sont Brume de Dieu, le film d’Alexandre Barry présenté en avant-première (film aboutissement de l’œuvre du même titre de Claude Régy) et Disabled Theater, de Jérôme Bel et du Theater Hora. J’ai compris pourquoi on se tournait vers Dieu. C’est juste une respiration. On n’en peut plus, parfois, de toute cette espèce humaine si concentrée dans l’intelligence, dans la bêtise, si enthousiaste dans la société, la société du spectacle – et la misère personnelle qui se mélange à rien, le COMBAT ! Nicolas Maury a très bien fait entendre quelques phrases d’Arthur Rimbaud, d’Une saison en enfer, dans la pièce de Guillaume Vincent, La Nuit tombe..., très bien fait entendre, c’est-à-dire l’air de rien. Il y avait une phrase de Franz Kafka, aussi, mais beaucoup plus lourdement assénée (par un autre comédien) : « Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde. » Je lis les suppléments avant premières des journaux. Dans l’un, Romeo Castellucci dit qu’il voit « la prière comme un manque, le signe de l’absence de foi. Avoir la foi, c’est croire à l’incroyable. On ne prie que parce que l’on ne croit pas. » Il dit aussi : « La condition warholienne du spectateur, ce n’est rien d’autre que l’enfer moderne, la communication ininterrompue. » Mais le plus beau, c’est Walter Benjamin qui le dit, rapporté (paraphrasé) par Dominique Reymond. « La phrase exprime, en substance, le sentiment suivant, dit-elle : « Je n’ai rien, mais en revanche j’ai du temps. Et dans cet espace du temps que j’habite, je trouve des meubles, des gens, des mouettes. » » Ici, je suis chez moi, dans le Lub’, sous la falaise au bout de la route des chevaux qui se jettent – et des loups anciens. Il y a bien des gens, mais ils sont inoffensifs : ils font des stages. Ça ne me déprime pas. Inoffensifs. Ils ne savent pas que je suis un metteur en scène célèbre (à Avignon, tout le monde l’est). J’ai une bouteille (50 cl) de Château La Canorgue 2010 et j’ai mangé aussi la nourriture habituelle, le plateau de crudités, l’agneau noir comme le loup (cuit dans l’olive) et le fromage sublime qu’avant on appelait un banon, mais maintenant on n’a plus le droit car c’est devenu une marque déposée – il n’a pas de nom, en fait. Le fromage. Le fromage, Laure disait, le plus sublime que j’ai jamais mangé. J’ai le souvenir de mes amis ici. Laure, Romain, Cristian, Eva, François. Maintenant je suis seul avec Dieu, c’est-à-dire l’absence, c’est-à-dire les livres, c’est-à-dire l’imagination. Gaston Bachelard.



L’imagination, c’est du mouvement, nous dit Gaston Bachelard. Ce n’est pas l’image, c’est l’imaginaire, c’est-à-dire l’image jamais fixée, en mouvement. Encore faut-il en ressentir physiquement la théorie. Par les moyens du laboratoire du cinéma (film complètement expérimental), Alexandre Barry amplifie le mouvement vivant produit dans l’œuvre théâtrale du même nom par Tarjei Vesaas, Claude Régy et Laurent Cazanave. Il l’amplifie et l’aboutit : c’est fixé, recueilli, le mouvement même de l’imaginaire : l’être humain, mystère insensé. Paradoxe d’un film chef d’œuvre. Infini, jamais complètement présent, flou pour toujours, fixé pour toujours, presque invisible comme la profondeur sans stop ni départ. « Doué d’une vue plus subtile, tu verras toutes choses mouvantes » (Friedrich Nietzsche). Brume de Dieu.



« En toutes circonstances, la vie prend trop pour avoir assez. Il faut que l’imagination prenne trop pour que la pensée ait assez. Il faut que la volonté imagine trop pour réaliser assez. »

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« L’amour est le danger du plus solitaire » (2)



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« L’amour est le danger du plus solitaire »




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