Wednesday, August 17, 2022

Ce n’est pas vraiment un spectacle (ce qui n’est pas pour m’effrayer), mais, le 4 septembre, on m’a demandé de participer à L’ABRI TROU, du nom de cette sculpture en voile de bateau d’Elizabeth Saint-Jalmes. Il y aurait des solistes et il y aurait un groupe. Je voulais le proposer à tous ceux qui ont participé à SUR LE CARREAU (et à d’autres éventuellement, soit qui ont vu le CARREAU, soit qui en ont envie tout simplement). Il y a très peu de temps de répétitions,  le 1er à partir du milieu de l’après-midi et le 2 toute la journée avec une « générale » à 19h. Rien le 3. Et le 4, c’est de 14h à 18h, le public entre et sort quand il veut (c’est un événement qui fait partie des TRAVERSÉES DU MARAIS). Or les gens du Carreau ne rentrent de vacances — tous — que le 29. Et Maïa n’a pas pris son ordi (la veinarde). Je n’ai donc pas accès à la liste. Si vous êtes intéressé, répondez-moi en m’indiquant une adresse email et répandez aussi l’info autour de vous (d’abord à vos connaissances du CARREAU). Comme ça, peut-être, par tache d’huile… Un groupe de trente, ce serait pas mal. Qui interviendrait toutes les heures, 14h50, 15h50, 16h50, 17h50, enfin, toutes les heures dix minutes. Voilà, vous en savez autant que moi (quasi), mais je veux bien, of course, m’expliquer plus (phonez-me)

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« De l’influence de la littérature


Je n’aurai parlé en public qu’une seule fois cet été, c’était à Banon, le 12 août, à la Librairie Le Bleuet, dans une rencontre avec Andréi Kourkov, autour, évidemment, de l’Ukraine et de la Russie, et de son roman « Les abeilles grises », et, moi, de mon petit livre paru au Seuil, sur l’invitation de Marc Gaucherand, le directeur de cette extraordinaire librairie. J’y ai retrouvé nos éditeurs, à Françoise Morvan et à moi, Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, au premier rang de l’assistance. Nous avons échangé des sourires, des petits mots, comme ça, et, d’un seul coup, juste avant de commencer, je vois le visage de mon éditrice qui se déforme en regardant son portable, et elle me souffle quelque chose, que je n’ai pas compris tout de suite, je me penche, autant que je peux, je crois, vers elle, et je comprends que Salman Rushdie a été l’objet d’une tentative d’assassinat. 


De notre rencontre, fraternelle, je puis le dire, à Andréï Kourkov et à moi, si j’en parle, j’en parlerai plus tard — je veux dire à quel point j’ai été heureux de le voir, mais le fait est que je n’ai pas encore lu son roman, je n’ai pas eu le temps de l’acheter avant la rencontre (j’en ai lu d’autres...), et pourtant, ce qu’il en dit m’a bouleversé, et cet amour qu’il a des abeilles m’a rappelé le même amour qu’éprouvait Mandelstam, parce que les abeilles, depuis les Grecs, c’est un des symboles de la poésie, et du travail humain, — de l’humanité dans ce qu’elle a de plus précieux. 


Les abeilles du personnage d’Andréï Kourkov sont grises, elles viennent d’une zone grise, ni « russe », ni « ukrainienne », et leur miel est amer, parce qu’elles respirent un air saturé par la poudre des armes. Parce que c’est ça, les abeilles. Elles sont l’essence du lieu. Elles sont l’essence du temps.


*


Mandelstam. 


Marc Gaucherand m’a interrogé sur une phrase que j’ai écrite dans le petit Libelle, sur le fait que, dans une société capitaliste, la littérature n’avait aucune importance, et que la poésie, en russe, avait cessé de jouer un rôle quelconque après la fin de l’URSS. Cette phrase a pu interloquer certains des nombreux spectateurs qui s’entassaient autour de nous. Mais, qu’est-ce que je veux dire ?


Mandelstam disait à son épouse (je ne me souviens pas de la citation exacte), que c’est sous Staline que, réellement, on sentait le respect pour la poésie : « Tu t’imagines, disait-il, on peut nous tuer pour un vers. » Et oui, la poésie, en URSS, a eu une importance capitale : parce qu’elle a été le lieu non pas de la résistance, ou pas seulement le lieu de la résistance, mais celui, tout simplement, de l’humanité. De là, l’importance de Pouchkine (qui, vous comprenez bien, n’a rien écrit contre Staline) : simplement parce que, dans un monde de laideur et de peur, il y a la beauté et, vous savez, autre chose aussi. Il y a l’éternité. Je veux dire, il n’y a pas que le temps de l’horreur que nous sommes en train de vivre. Il y a, par de-là, ou, je ne sais pas, au-dessus, ou au-dessous, ou je ne sais pas où, mais, là, très clairement sensible, le temps de la durée, juste, oui, l’humanité présente, à laquelle, par le fait même que nous nous répétons ses vers, nous appartenons dans toute sa plénitude.


Mais c’est le signe de la dictature, qu’elle tue pour ce qu’on écrit. — C’était vrai sous les bolchéviques. C’est vrai pour cette catastrophique ruine qu’est, aujourd’hui, l’islam dans le monde, — quand on pense à l’immensité de la culture islamique dans les pays Arabe, en Perse, dans toute l’Asie Centrale au Moyen-Age, et quand on voit ce qu’on voit aujourd’hui... Parce que le propre (hum...) de la dictature est de voir le monde comme un tout rigide, immuable, et de ne pas connaître le notion de détail, la gradation des valeurs. De ne pas comprendre qu’un livre, même un livre qui remettrait en cause les fondements de la foi ne peut remettre en cause ni Dieu ni la foi, parce que, si Dieu existe, et si la foi existe, eh bien, parce que rien d’humain ne peut Dieu en question (c’est, je le rappelle, en fait, la raison pour laquelle Ivan Karamazov refuse Dieu, et que, donc, plus les gens écrivent ce qu’ils veulent, plus, tranquillement, ils louent la création.


La dictature, qu’elle soit religieuse ou politique, est n’est pas que la fabrique d’un Tout. Elle est la fabrique des imbéciles. — Qu’est-ce que vous voulez dire à un fanatique islamique ? Il ne sait pas penser, parce que, ce n’est pas qu’il croit, il sait. Et il ce qu’il sait, ce n’est pas seulement qu’il le sait pour lui-même, c’est qu’il le sait pour tous, puisque sa vérité doit être celle de tous. Du coup, si un seul élément de ce « Tous » n’est pas conscient de cette vérité, lui, ça lui remet tout en cause. Ça lui casse sa joie, exactement pour les nationalistes quand on remet en cause les fondations de la nation. Parce que les imbéciles ont besoin d’être en souffrance, bien sûr, mais cette souffrance est une source de joie publique et intime, c’est la souffrance, fantôme, et bien réelle, qui fait passer à l’acte. Parce que la dictature, quelle qu’elle soit, a un ennemi suprême. Non, pas la démocratie, pas la liberté de conscience, — la solitude.


Ces grandes cérémonies de masse dans l’Allemagne hitlérienne, en URSS, en Chine. Ces gosses dans les écoles religieuses dont le seul savoir, après des années et des années de rabâchage ensemble, est de savoir par cœur un texte qu’ils n’auront jamais lu.


La dictature vous refuse la solitude. Vous n’êtes jamais seul. Ce qui signifie que vous ne pouvez pas être vous. Vous n’êtes pas, vous n’êtes qu’en étant avec, qu’en étant « par ». 


*


Vous lisez, — vous êtes seul. Vous pouvez lire à quelqu’un, bien sûr, mais, même là, vous avez été seul avant, à découvrir ce que vous lisez à celui ou celle à qui vous lisez, comme un présent, comme l’expression la plus profonde de vous-même, parce que lire a quelqu’un, c’est offrir le don de sa solitude, et, pour la personne qui écoute, c’est recevoir ce don, et offrir en échange le don de son écoute, et celui de sa propre solitude en devenir. La littérature, c’est le lieu de la solitude, et donc le lieu du doute, le lieu où la vérité est celle-là même : pas seulement le dépassement de l’instant, de la contrainte. Non, c’est le lieu où notre propre solitude se découvre capable de recevoir le don d’une autre solitude, par delà tous les temps, tous les espaces, pour construire cet espace, à la fois intime et ouvert, que sera notre vie, une vie qui n’est pas seulement celle qu’on nous construit, mais celle que nous construisons nous-mêmes, en nous, avec nos êtres aimés, — nos bien-aimés à nous, et ceux que nous lisons, que nous voyons, que nous écoutons.


*


La dictature est aussi, bien sûr, la fabrique de la lâcheté. Pas seulement parce que ça fait très peur de se trouver victime de la violence (et bien sûr que ça peur ! qui n’a pas peur de la torture ?), mais parce que c’est tellement plus pratique d’être courageux avec la foule, plus rassurant d’être lâche avec tout le monde. Parce que c’est tellement plus rassurant de dénoncer son voisin et d’avoir l’impression qu’on a fait quelque chose pour la communauté. Et puis cette lâcheté de savoir sans avoir à penser. Cette lâcheté de savoir pour les autres. Et ce qu’elle est enthousiasmante, cette lâcheté de la meute, quand vous êtes dedans, quand vous êtes avec. 


*


Dès lors, toute parole originale, pas déjà entendue — je ne dis même pas toute parole de contradiction — remet en cause l’édifice dans son entier, et la dictature creuse ainsi sa propre ruine, en créant son péril. Oui, en dictature, un livre peut tout remettre en cause. Disons, il peut allumer une mèche lente qui, à force, et avec d’autres facteurs qui seront tout sauf littéraires, pourra faire exploser le monstre.


*


Ce que je  disais, c’est que, dans une société sans dictature, l’effet de la littérature ne peut pas être collectif. La poésie en particulier (le domaine littéraire le moins social) ne s’adresse pas aux gens. Elle ne peut s’adresser qu’à quelqu’un, à une personne — qui doit, pour la recevoir, accepter sa propre solitude, au sens où elle doit vouloir vivre en permanence avec le doute, ce qui est tout sauf rassurant, pour la plupart de nos frères humains. 


*


Je voudrais tellement que les gens soient seuls. Que la littérature, donc, n’ait aucune influence sociale. Juste qu’elle soit ce qu’elle est : une question de vie ou de mort, pour telle ou telle personne. »


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« But human beings do not perceive things whole; we are not gods but wounded creatures, cracked lenses, capable only of fractured perceptions. Partial beings, in all the senses of that phrase. Meaning is a shaky edifice we build out of scraps, dogmas, childhood injuries, newspaper articles, chance remarks, old films, small victories, people hated, people loved; perhaps it is because our sense of what is the case is constructed from such inadequate materials that we defend it so fiercely, even to the death. »

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R endez-vous avec sa vie


« C’est la grande chose qui peut rendre fier un chanteur, c’est que le public vienne à un rendez-vous avec sa vie, voilà, quand il vient vous voir. »

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