Wednesday, March 10, 2021

Alors, moi, ça va bien ! Et c’est toujours un immense plaisir de recevoir une lettre de toi. A laquelle je réponds tout de suite (par plaisir). Je suis à Nantes depuis une semaine.  Tu aurais pu m'y envoyer ton livre, mais, figure-toi, que je viens de l’acheter, sur les conseils d’un ami (il est resté à Paris, cela dit). J’aime que tu dises que « tout baise » pour parler de la campagne, même si je sais bien que c’est sous l’influence de Dustan (je n’ai rien contre, comme tu sais). Quel dommage pour toi de n’avoir pas rencontrer Laurent Chétouane, quand même… Oui, ce « théâtre de l’intuition » peut nous manquer… Mais je conseillerais quand même à la jeunesse de tabler sur le cinéma parce que, quand même, le théâtre… par les temps qui courent… Il faudrait apprendre à filmer, à faire des merveilles avec le film — parce que sinon, que faire ? Au théâtre, il y a quand même de moins en moins de clients. S’il y avait des clients, on les verrait descendre dans la rue pour réclamer la rouverture des théâtres. Et non. (Laurent en parle beaucoup mieux que moi, et peut-être d’une manière plus pessimiste, mais je crois qu’il a raison : il pense qu’on ne peut jouer que dans les ruines du théâtre, qu’il faut en avoir conscience, de cette réalité, plutôt que de faire comme les instituions le font, démultiplier les programmations pour cacher la réalité des faits : le théâtre, c’est fini). (Je ne sais pas où il en est maintenant, je parle d’une chose qu’il m’a dite il y a deux ans déjà, quand on avait donné ce stage ensemble à Orléans.)

Le livre que tu me conseilles, Notes d’hiver sur impressions d’été (quel beau titre !), de la manière dont tu en parles et parce que, bien sûr, je ne l’ai pas  lu, me fait penser à cette citation de Virginia Woolf, sans doute au commencement de son journal, que j’ai vu repasser sur Insta. Une de mes merveilleuses lecture, ce journal, une semaine merveilleuse que j’avais passée seul à Florence — seul à Florence, tu imagines ! Le musée sublime : tous les jours des merveilles bouleversantes — et avec comme lecture, le soir dans la chambrette, le Journal (en fait, les extraits directement liés à son travail littéraire rassemblés par Leonard Woolf) (franchement l’un des plus beaux souvenirs de ma vie). « Quelle sorte de journal souhaiterais-je écrire ? Quelque chose de tissé à larges mailles, mais sans négligence. D'assez souple pour embrasser tout ce qui, grave, léger ou beau, me vient à l'esprit. J'aimerais que cela ressemble à quelque vieux bureau profond, ou à un vaste fourre-tout dans lequel on peut jeter un tas de choses sans les examiner. J'aimerais y revenir un ou deux ans plus tard, pour m'apercevoir que ce chaos s'est trié de lui-même…  » (20 avril 1919.)

Bon allez, chaton vivace et adoré, je te laisse vite, excuse-moi, parce que la coiffeuse a faim. Je vais lui faire à manger. On n’a plus d’argent, elle pour des raisons trop longues à t’expliquer (et ça va durer trois-quatre mois, me dit-elle !) et, moi, j’en ai encore, mais il faut que je fasse attention puisque je n’ai plus de travail. Alors on s’amuse à apprendre à manger pour très peu. J’ai acheté tout à l'heure pour sept euros et quelques de légumes frais, une folie ! Ça devait aller pour ce soir, on va se régaler…

T’embrasse, 

Yves-Noël


Labels:

« J’ai rêvé d’un plus secret acquiescement ou d’une plus souple bonne volonté. »


Labels:

« Le propre d’un homme bon est d’aimer et d’accueillir avec joie ce qui lui arrive. »


Labels:

I nactualité (pour Eve Beauvallet)


« Agamben indique qu’on ne peut saisir la contemporanéité d’un être, d’un phénomène en dehors d’une certaine forme paradoxale d’« inactualité » par où ceux-ci apparaissent comme déphasés par rapport à l’époque et que c’est dans ce déphasage même qu’un regard véritablement contemporain avive sa perspicacité. Être contemporain de son temps, c’est interrompre le cours historique et linéaire de celui-ci pour se plonger dans l’essentielle « interpolation d’un présent » capable de renouer des alliances secrètes avec des figures vaincues, oubliées ou dévoyées de l’historiographie dominante. »


Labels:

R ochefort-en-Terre




Labels:

C elle des moutons qu'on égorge


« Écrire et publier, n’est-ce pas contradictoire pour un agent secret ? « La seule façon de passer inaperçu est d’être perçu constamment », répond Philippe Sollers. »


« Par exemple : « Nous aimons les femmes en bleu », je répète : « Nous aimons les femmes en bleu » ou alors : « Une hirondelle ne fait pas le printemps », « Une hirondelle ne fait pas le printemps », voilà les messages personnels qui déclenchent peut-être un attentat terroriste comme on disait alors de la Résistance. »


« La nuit est lumineuse »


« La littérature ne peut pas être jugée de façon « iste ». « Communiste », « féministe », « machiste »… »


« La discrétion, on lui doit bien des bonheurs »


« L’abondance de références à la ‘sessualité’, comme disait Queneau, avec deux s, ‘sessualité’ comme disait Zazie dans le métro, eh ben la ’sessualité’ me fait rire. C’est la dernière branche à laquelle essaye de se raccrocher une humanité en péril, qui sombre. Donc la ‘sessualité’, on ne parle que de ça, c’est ridicule. »


Titre : 

En quoi la souffrance de l’herbe qu’on coupe diffère essentiellement de celle des moutons qu’on égorge 


« la robotisation, la déshumanisation technologique »


Titre : 

We Want Decent Movies

Labels:

B lanchi à la neige


J’ai vu dans mon enfance des spectacles si mythiques, si extraordinaires que je me demande si c’est parce que c’était moi qui les voyais, à l’âge où je les voyais, ou s’ils étaient vraiment extraordinaires… Car j’ai vu aussi, à l’âge adulte, des spectacles qui « ne donnaient rien » 


R ien n’est beau. Rien n’est gai. Rien n’est propre. Rien n’est riche. Rien n’est clair. Rien n’est agréable. Rien ne sent bon. Rien n’est joli.


Bonjour Yves-Noël, je t'envoie un message car je repense souvent à un texte, très beau, qui figure dans un de tes spectacles. Mais je ne sais plus comment le retrouver et je me demandais si tu pouvais m'aider. C'est un texte que tu disais, depuis le public, dans Rien n'est beau, rien n'est gai... Je me souviens juste qu'il est de Martha Graham (enfin je crois) et qu'il se termine par « vivant ». Je dis tu parce que nous nous sommes déjà parlés plusieurs fois même si je ne suis pas bien sûre que tu m'identifies. J'espère que tu pourras m'aider, à très bientôt, Eve.




Oui, je t'identifie très bien, évidemment ! tu as dit de si belles choses sur mes spectacles. Il n'y avait pas de texte, c'est moi qui avait inventé, un soir, de parler depuis le public pendant ce très long temps de face de ces trois actrices sublimes, Marlène, Jeanne et Kate, pour les aider à allonger ce temps. Je parlais du monothéisme, des trois religions du monothéisme, toutes trois nées dans le désert, le désert où il n'y a pas de singes, seulement des animaux à quatre pattes comme les chèvres, les chameaux... qu'ainsi ça avait été facile pour l'homme de s'imaginer différent, mais qu'en Asie, en revanche, où les singes pullulent, la question de la différence ne s'était jamais vraiment posée. Et ensuite je devais parler, sans doute aussi, de Martha Graham. Je disais peut-être que Madonna allait en avance pour la voir descendre de voiture avant de prendre son cours (c'est toujours bien un peu de glamour) et qu'elle faisait passer des auditions en demandant aux danseurs de simplement marcher à travers le studio en leur disant : « Souvenez-vous que vous allez mourir. » Et que, si ça ne suffisait pas, elle leur disait : « Marchez comme si votre cœur était accroché au mur, fixé au mur, palpitant, vivant. » Quelque chose comme ça. Ce sont des choses que je redis souvent, je ne sais plus d'où elles me viennent. Bises du Mexique

Labels:

M ais alors des corbeaux


Pendant ces « vacances » auprès de ma mère douée de la maladie d’Alzheimer (enfin du présent !), j’ai lu beaucoup de livres contemporains, des livres qui sont sortis, des livres qui s’achètent, loin d’être bêtes, et puis, on se dit : Il faut soutenir les libraires, les éditions, alors on lit les livres qui sortent. Et puis les livres déjà lus, j’ai lu aussi. J’ai lu ce livre je ne sais plus quand, je me souviens, Claude Régy m’avait dit que c’était celui qu’il préférait d’elle parce qu’il parlait de la création, de l’écriture. Et je relis ce livre, et je n’y arrive pas, c’est difficile — est-ce que mon niveau a baissé ? c’est bien possible, qu’est-ce qu’adolescent j’avais bien pu comprendre à ça que je ne comprends ? Ou bien est-ce que le contexte a changé ? Est-ce que c’est peut-être que les livres difficiles étaient plus abordables avant l’Internet qui a certes niqué cette capacité nécessaire pour certains livres (les meilleurs) : s’accrocher ? Eh bien, humilié comme un gosse, un débutant, je me suis accroché — et alors s’est peu à peu déployé quelque chose de miraculeux : ce livre dont je me demandais pendant tant de pages (« tous ces petits mots gris », disait Marguerite Duras de Nathalie Sarraute) de quoi il pouvait bien parler, parle en effet, vraiment, de quelque chose, mais avec une telle force, une telle audace, une telle impudeur, de la folie de l’auteure, certes, mais parle vraiment de quelque chose, notre rapport et notre décollement permanent de cette adhésion au réel, notre impossibilité (les « affres de la création ») d’être poète à plein temps… Oui, ce livre parle vraiment. Et il n’y a qu’un sujet pour tous les livres : le réel, le tragique, nous en approcher — pour les meilleurs — ou — pour les autres — nous en éloigner en racontant des histoires, des séries, du cinéma, des handicaps… « Mais alors des corbeaux, qui se balançaient à la verte flèche des peupliers, croassèrent dans le ciel moite et pluvieux. »

T otalitarisme


« Ben écoutez, c’est pas moi qui ait inventé le concept de « société du spectacle ». C’est-à-dire que tout est réduit à des images extrêmement restreintes et à un discours de plus en plus simplifié. Bon, on en a des preuves chaque jour. »

« Partout, à chaque instant, c’est-à-dire la simplification dans la morale, la ‘moraline’, comme disait Nietzsche, c’était qqch qui est à l’œuvre — et tout est jugé selon des critères moraux… »

« ce qui est chaque fois convoqué, c’est le désir de culpabiliser tout le monde. Moi, j’ai subi toute ma vie des propositions de culpabilité. Hors, je suis désolé, ça ne marche pas avec moi. »



Labels: