Saturday, December 03, 2016

Q uelles sont vos intentions ?


Bonjour, chers amis, chères connaissances, et merci pour l’effort de conscience que vous mettez à votre tâche !
Juste un mot, aujourd’hui, il y a un texte très long (dans mon dossier), fastidieux, j’écris très mal, ce n’est pas mon métier, surtout quand il faut exprimer ses intentions, écrire mal est presque une nécessité si l’on veut s’approcher de la vérité, « QUELLES SONT VOS INTENTIONS ? — Je n’ai pas d’IN-TEN-TION, pleure l’auteur », écrit Hélène Bessette, génie certes encore très effrayant.
Je fabrique — quand on me le permet — les spectacles que j’ai envie de voir sous mes yeux. C’est infiniment égoïste, c’est mon bon plaisir, infiniment personnel — et infiniment prétentieux. Non pas que je ne trouverais pas tout à fait normal que personne ne les aime, je suis plutôt bien étonné du contraire, ils me sont si intimes, mais j’ai la prétention, en effet, de les considérer comme plus beaux que la lourde majorité de ceux que j’ai vus déballés et trimballés dans les salles d’Europe — j’en ai vu tant — au cours de ma vie. Ils sont plus beaux parce qu’ils sont plus proches du rêve (oui, dans les périodes de chômage, je suis l’auteur d’infinis spectacles en rêve, encore plus beaux, encore plus sensuels...) Ils sont moins beaux que les spectacles de Klaus Michael Grüber que je voyais dans mon adolescence. C’est lui, le grand poète. J’avais le sentiment de voir les plus beaux spectacles de ma vie : à ce jour, cela ne s’est pas démenti. Evidement (je l’explique plus fastidieusement dans le texte trop long que je vous ai envoyé), il y a un paradoxe à demander de l’aide pour une chose qui n’est — avouée — que le comble d'une avidité imaginaire personnelle. Mais ce n’est pas seulement ça. Il s’agit de l’esprit. L’esprit. Et je sais — oui, je le sais, je peux le dire — que l’art ne procède jamais d’aucune autre façon : d’une façon invisible pour quiconque, acteur, auteur ou spectateur ne le pratique pas de la façon la plus indifférente non seulement à la foule, mais à la condition de chacun des individus qui la composent. Ce n’est pas la re-fréquentation intime (intense) de Proust qui pourrait m'apprendre le contraire... « Le livre intérieur de ces signes inconnus… » (je ne cite pas tout le passage, mais je le connais pas cœur). Il n’y a pas d’art véritable qui ne naisse d'une solitude et d’un rapport personnel à ce livre intérieur que la réalité imprime en chacun, indéchiffrable pour tous les autres et pour soi-même si on s'en détourne. 
Je laisse les interprètes faire le spectacle pour moi, mais je ne me détourne pas. 
Mon art est de ne pas le faire, le spectacle — quel spectacle ? — mais de le laisser respirer.
Croyez, chers amis, chères connaissances, à mon infinie passion pour mon métier, mon infinie confiance dans mon art et à son renouvellement perpétuel, si proche de la vie, et de ma vie qui, non plus, ne s’arrête jamais et ne revient pas non plus en arrière, mais s’avance dans un indécrottable optimisme malgré le saccage. Je sais aussi que je partage cet optimisme et cette lucidité avec mes étudiants, mes interprètes, mes collègues, et ceux que je nomme mes amis, mais que l'on nomme plus généralement les « spectateurs » qui eux-aussi fabriquent ce qu’ils désirent percevoir (et rien d'autre). 
Veuillez permettre le sens curieux, luxueux de mes prochains spectacles qui n’apparaissent que pour disparaître.  
« Comprenons enfin que nous sommes confrontés à l’incompréhensible », dit Edgar Morin. Plus que jamais, je me sens (comme dirait l’autre) guerrier de la beauté et de la polyphonie de l’instant. Aidez-moi à rassembler l’armée d'instinct et d’incompréhension dont j’ai besoin. Accordez-moi votre confiance. 
Soutenez-moi dans la fabrication d’un art qui n’appartient à personne, pas même à moi.
Merci, 
Yves-Noël Genod

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A u courrier


Vincent Dedienne
Les amis. Il est 01H33, je viens d’arriver dans un énième hôtel que je ne connais pas.
Dans la voiture, entre deux villes que je ne connais pas mieux, j’ai reçu ce message sur Twitter, je vous le transfère, parce que j’en suis très ému, et que je n’arrive pas à garder cette émotion pour moi.
Mnouchkine quand elle était venu nous faire la leçon à Saint-Etienne, et qu’elle avait engueulé Tommy Luminet parce qu’il était en retard avait dit : « Il ne faut jamais oublier que dans une salle de théâtre, il y a des gens qui vont au théâtre pour la première fois et des gens qui vont au théâtre pour la dernière fois. » 
Nous tâcherons de nous en souvenir quand nous fatiguerons, d’accord ?
Je vous aime et vous embrasse. 
Vincent 

Cher Vincent,
(j’espère que c’est pas trop familier, mais Cher Monsieur Dedienne, ça me semblait bizarre)
Je ne sais pas vraiment comment commencer, quoi dire.
Nous étions venus vous voir à Saint-Genis-Pouilly, au théâtre du Bordeaux. Vous ne vous souvenez peut-être pas, mais ma sœur, mon compagnon et moi vous avions demandé une dédicace pour mon meilleur ami, Greg, qui n’avait pas pu venir. 
Et ma mère nous avait rejoint. Elle avait trouvé votre spectacle très mélancolique et vous lui aviez pris les mains en lui disant que c’était parce que c’était une maman.
Elle est malheureusement décédée ce week-end.
Vous ne pouvez pas savoir comme vous lui aviez fait plaisir. Elle ne vous connaissait pas avant le spectacle et vous a adoré. Quand elle est rentrée du spectacle, elle a regardé toutes vos vidéos. Elle a parlé de vous et de votre spectacle à toutes ses amies. Vous lui avez procuré beaucoup de rire et de joie, et je vous en remercie au-delà des mots.
J’ai aucune idée de pourquoi je vous écris ça. Sûrement pour avoir l’impression de faire quelque chose dans ces moments absurdes. Et je suis désolée de vous laisser ça comme ça, sur les bras. Mais je suis sûre que ça lui aurait fait plaisir de savoir que je vous l’avais dit.
Je vous remercie du fond du cœur.
Anaïs

Ah, oui ! c’est touchant ! C’est touchant, le cœur…
Bises. (Tu me manques à la télé, mais je comprends que c’est pour la bonne cause…)
Yvno

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M ais un palais populaire


Content de quoi ? Content de la vie. On voit des choses somptueuses dans ces stages, dans ces cours. C’est là qu’on voit les plus belles. C’est très rare qu’on arrive à transporter dans des théâtres (et leur névroses institutionnelles) les choses aussi belles et « dans l’état de l’apparition » qu’on trouve dans les stages. J’ai progressé comme enseignant, du coup le niveau a progressé aussi. Je mets la barre très haut. Au plus haut. Et ça aide, en fait. Pourquoi perdre son temps à perdre son temps ? La vie est courte. Le temps de la vie est occupé par de l’irréel, la télé, FaceBook… Alors, si on veut être sérieux, il faut l’être, il faut s’intéresser au réel. A l’espace, à l’air. Et que l’air, l’espace, le réel soit le personnage principal, celui qui nous enveloppe et que nous sommes. Nous sommes dedans et nous le sommes. Un pic de pollution ce soir à Lyon et une alerte des crues de la Saône (ne pas stationner), j’ai vu sur les panneaux lumineux. C’est dommage, cette pollution : vivre à Lyon pourrait être aussi agréable qu’à Berlin. Je suis sur la colline, Pierre m’a prêté son studio. Le matin, je descends par l’escalier Hoche jusqu’à la Saône vers le pont du Général Kœnig que je traverse, Valérie Marinese me prend devant le conservatoire pour m’emporter jusqu’à chez Maguy Marin, à Sainte-Foy-lès-Lyon. Il y a un restaurant très bon, très France, très campagnard, chaleureux près de chez Maguy Marin (bien que ça paraisse le bout du monde). Tout à l’heure, Laure et Laurent m’y ont invité. J’ai mangé du poulet jaune. Le soir, je remonte l’escalier chéri, sous les arbres, les arbres familiers, chéris, connus du matin. Toute la journée, je travaille à faire des beautés avec des gens qui l’acceptent. Qui se déshabillent (par exemple, plusieurs filles, ça me change !) alors qu’il fait froid, que le lieu très beau (belle lumière d’hiver, soleil) est de parpaings gris de cette matière carcérale et grise comme la cervelle...

Demain dimanche, à 15h (jusqu'à 17h30), on rejoue de manière non officielle le meilleur de ce qu'on a fait depuis cinq jours, que quelques-uns viennent...

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R oman-bloc


« Roman réduit à la plus simple expression.
Pas de paysage et un personnage. »

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