H appy Days
Ç’aurait pu être autre chose. Par exemple, Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, que je viens de relire, quelle merveille ! On entend la voix de Madeleine Renaud presque intacte, tous les détails. Toute la pièce semble avoir été écrite, décrite, selon son interprétation (mais c’est le contraire, la pièce a été écrite avant qu’elle la joue).
Mais il se trouve qu’on m’a proposé, à Paris, de travailler sur Gertrude Stein, quelle joie d’avoir le prétexte d’une commande pour m’y plonger. Amoureusement. Ce sera donc un passage de Autobiographie d’Alice Toklas, son livre le plus célèbre, qui plut enfin à l’Amérique, qui en fit enfin une star (ce qu’elle était dans l’âme dès le début). Ça se passe dans les années 5, les années 10, les années 15, bien-sûr il y a la guerre, puis l’après-guerre, les années 20, les années 25, le livre est écrit au début des années 30. C’était l’époque où l’on achetait des tableaux vraiment pas chers, de crève-la-faim qui très vite n’eurent plus jamais faim du tout car ces tableaux étaient ceux de Matisse, de Picasso… Mais on parle aussi beaucoup de tous les gens qu’on croise et qui plaisent, ils plaisent surtout parce qu’on aime la vie, les surprises de la vie, alors on rencontre des gens qui plaisent, et, ces gens, on en a perdu la mémoire, mais le livre n’est jamais ennuyeux, il est au contraire miraculeux, on y est, avec elles, avec eux… Tout appartient à tout le monde, il n’y a pas d’identités, il n’y a que le genre humain — et tout le reste est anecdotes, tout ce qui semble tellement occuper notre époque… Oui, elles étaient deux femmes juives et lesbiennes, mais qu’elles soient juives ou lesbiennes n’est jamais la question, qu’elles soient femmes non plus, vous plaisantez…
Yves-Noël Genod
Labels: stein