F atigue adorable
S’échapper d’Avignon. J’ai
plus de souvenirs que si j’avais 1000 ans. Je ne peux pas décrire ce que je vis
à Avignon. Imaginez l’enfer, imaginez le paradis, imaginez cette chose
inventée : le purgatoire (les 2 autres existent), eh bien, Avignon, c’est
le champ clos, expérimental, de l’humaine condition ; nous sommes, quoi
qu’il en soit, entourés par les remparts et nous sommes l’enfer, le paradis, le
purgatoire. Hier, les spectacles du soir n’ont pas joué à cause de la « grève des intermittents » : techniciens et personnel des bureaux, les
artistes ne votant — quand on leur demande leur avis — presque jamais pour la
grève, évidemment, jouer est leur respiration, leur enfer, leur paradis, leur
purgatoire, acceptent évidemment d’être solidaires des précaires et des
intérimaires. C’est vrai, on est solidaire des précaires et des intérimaires et
des pauvres et des modestes et des perdus et des exclus et des très pauvres et
des infirmes et des bougnoules et des femmes, quand on est artiste — mais la
grève est imposée par des imbéciles heureux pour qui la lutte des classes,
comme jouer à la pétanque, est un sport de retraités. Depuis quelques années,
jamais une grève n’a apporté quel que changement que ce soit, c’est jouer avec
le patronat, c’est faire le jeu du patronat, c’est toujours le patronat qui
gagne (le patronat gagne même sur le gouvernement). Non, il faut être
absolument plus radical. Plus radical. Ne rien revendiquer. Ne rien fermer. Ne
rien fermer. Ouvrir les portes. Aux exclus, aux bougnoules, aux clochards, aux
jeunes illettrés, aux pauvres, aux voyous, aux Roms, aux très pauvres, à ceux
qui ne vont jamais au théâtre et pour cause, c’est pas pour eux, ouvrir les
temples de la culture, les prisons, les cours d’honneurs, les instances, les
institutions, les appartements des institutions, là où il y a du pouvoir ou de
la parodie de pouvoir, la politique culturelle, les salaires, les nantis, les
commissioneurs, les commissaires, les inspecteurs, les applicateurs des
règlements, les policiers, les ronds-de-cuir, les occupateurs des palais, des
bureaux, les organisateurs et les légiféreurs, seulement, voilà, tout cela
n’est pas « légal », tandis que la GREVE, c’est un
« droit » — eh bien, si c’est un « droit », c’est que ça ne
sert à rien, nigauds ! qu’à vous faire croire que vous n’êtes pas déjà
morts, mais vous êtes déjà morts,
vous êtes au purgatoire, en enfer et au paradis, enserrés dans le champ clos de
la ville-prison, la ville-toupie, la ville éternellement ouverte et fermée à la
beauté, avec ses places et ses pavés, ses circulations, son sang du poète, ses
coulures, ses rêves et ses amalgames. Hier, donc, tout le monde était dans la
rue, Inch Allah ! les restaurants étaient plein, les terrasses, le vent avait
baissé, la température était agréable et les spectacles ne jouaient pas, donc
on était dehors, on était en vacances, une belle soirée d’été, c’est aussi
bien, le restaurant, les terrasses, les amis, les soirées, les rêves, de toute
façon, le théâtre ? un souvenir, un prétexte, de toute façon, « ils »
ne jouent pas, « ils » sont empêchés de jouer (…)
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