Star system
Une chose étonnante quand même, étrange, kitsch… Mercredi, j’ai passé la soirée dans une salle de spectacle devant une femme qui jouait – sous toutes les coutures – Marilyn Monroe. Je ne trouvais pas aussi stupéfiant que le Andy Warhol du même metteur en scène (peut-être parce que Andy Warhol était Polonais et Marilyn pas que je sache). Mais toujours est-il qu’elle jouait ça et qu’il y avait aussi son psy, son amant, son photographe, etc. Ça durait trois heures et demie. Le metteur en scène n’a pas aimé la représentation. Elle-même, la star, faisait la gueule (la moue…) aux saluts qui étaient pourtant… opératiques, la Callas, ou si elle-même était Marilyn Monroe. Une partie de la salle debout, etc. Donc le metteur en scène les a engueulés, leur a hurlé dessus, mais c’est une habitude, ce n’était pas pire que d’autres fois – et ce serait peut-être pire le lendemain – enfin, donc, le metteur en scène cloîtré dans sa chambre, j’ai soupé en face de cette femme qui jouait Marilyn Monroe – il y avait son traducteur Philippe Tlokinski et Constance, l’amie de Philippe, plus loin Ludovic Lagarde… Eh bien, cette fille n’a pas décroché ! Elle a été Marilyn Monroe pendant toute la soirée jusqu’à son hôtel où je l’ai laissée. Et Marilyn malheureuse, n’est-ce pas, une fille malheureuse. C’était sidérant, éprouvant. On parlait et on ne lui parlait pas à elle, mais au personnage qu’elle avait joué pendant trois heures et demie (à poil et toute en seins, en fesses) et qui était Marilyn. Très troublant. La représentation – avec toutes ses croyances – continuait. Je savais bien qu’elle n’était pas la vraie Marilyn, mais elle ne me démentait pas. Jamais. A chaque seconde, je ne pouvais m’empêcher de penser que j’étais en face de Marilyn Monroe. Le bord de la folie. (Et de penser aussi que Marilyn Monroe était polonaise.) Je cherchais à la dérider, je lui ai demandé par exemple pourquoi elle n’avait pas enlevé sa perruque (qui n’en était pas une). J’y suis arrivé pourtant, mais plus tard et à mon grand soulagement. C’est seulement sur le long chemin vers l’hôtel, à l’autre bout de la ville, que je l’ai vu rire. Elle était avec son psy et elle riait parce qu’il y avait une scène : le photographe qui avait fait de si belles photos d’elles pendant la représentation – photos immédiatement projetées en très grand – et qui était aussi le petit ami du vieux metteur en scène cloîtré dans sa chambre d’hôtel (m’a glissé Philippe en français) – lui-même beaucoup moins jeune qu’il m’avait semblé sur scène moulé dans son pantalon rose et son admiration pour la star – était tombé de moi littéralement en adoration. Il n’était plus qu’un gnome excité et il me trouvait le plus bel homme qu’il ait jamais vu. Il me décrivait comme celui qui n’a pas peur des lignes et qui traverse les lignes, enfin, plein de choses magnifiques comme s’il m’avait connu entièrement nu au premier coup d’œil. Adoration. Love at first sight. C’était agréable d’être reconnu à mon tour comme une star et donc je l’ai laissé se coller à moi comme un bernique pendant tout le chemin. Accessoirement me mettre aussi la main dans la culotte, ce qui n’est pas difficile, débraillé comme je suis (mais qui arrive néanmoins rarement). Et, ça, ça la fait rire. Ça l’a amusé. Elle s’est retournée plusieurs fois pour voir cette scène plaisante, elle avançait avec son psy, j’étais content qu’elle décroche enfin de son malheur, j’ai mal joué, etc., du vieux monsieur qui ne disait rien, toujours sombre, lui, freudien (il devait pressentir que tout ça finirait mal comme le montre le livre de Michel Schneider, Dernières séances). En riant, elle était toujours Marilyn… (« Garbo rit », je pensais aussi, me référant au slogan publicitaire du dernier film de Greta Garbo.)