Il y avait la
fête extraordinaire du Rond-Point, l’anniversaire, la présence de François
Hollande, il faisait beau, une sorte d’Avignon avant l’heure (les jardins
autour du Rond-Point avaient été réquisitionnés), beaucoup de moments très
différents – et puis ça s’était terminé avec une agression d’une violence
inouïe – je crois que je n’en ai jamais connu d’aussi violente – mais la
personne était dans un tel état qu’elle ne s’en souviendra pas, c’est à
espérer, en tout cas. Ça ne m’intéresse pas du tout qu’on me flanque
l’inconscient à la place du vivant, ça ne m’intéresse pas, c’est même écrit,
c’est écrit là :
ÇA NE M'INTERESSE PAS – et pourtant ça se produit de plus en plus souvent, je
me prends de ces claques ! Alors on était sorti. On voulait boire un verre
aux Champs-Elysées – mais tout était fermé. Marcher était mieux que rien. De
toute façon, c’était rien, presque rien. Marcher valait mieux. Je
proposais de s’enfoncer dans les petites rues vers le George V, ça amusait
Olivier : « Ah, oui, le George V, il est ouvert 24h sur
24 ! » Et puis, tout ça, c’était la vie, je m’en souviens, les gens
nous regardaient, regardaient notre groupe étrange, triste et uni… On prenait un
taxi pour aller chez Dominique. Il fallait réveiller Marc parce que Dominique ne
pense jamais à ses clés. Et puis il était encore la nuit à l’appartement à
l’immense luxe sur le Champ-de-Mars. Et puis ça avait été l’aube. L’aurore d’abord,
pour être précis. L’aurore puis l’aube puis les oiseaux ne chantaient pas
encore alors que la lumière était parfaite et inéluctable, vaste comme l’amour.
J’étais frappé du paradis aussitôt après l’enfer. C’était comme… – c’est très
dur de rendre compte de cette sensation, la ville comme la nature, comme les
falaises, comme la mer, je ne sais quoi, ce qu’il y a de plus beau à l’état
naturel, le jardin, la tour Eiffel, Chaillot… – c’était comme Versailles, se
réveiller à Versailles… C’est-à-dire, les arbres sont si bien taillés, du
septième étage de cet appartement qui a servi pour Le dernier tango à Paris, qu’on dirait des jardins à la
française avec les arabesques de buis. Je crois que la vue n’a pas du tout
changé depuis cent ans : à un moment j’ai cru voir une calèche et des
robes longues. Une préservation parfaite. L’art. l’art de vivre aussi bien.
Marc proposait du café, du porto, du champagne encore. Dominique nous proposait
de rester dormir, il y avait deux chambres, la noire et la rose. Je ne savais
que décider. Olivier choisit la noire – « noir intense » – il me restait
la rose – qui d’ailleurs n’avait finalement qu’une idée très diluée, d’un
incroyable pastel, du rose. Pierre dormait avec Olivier, il allait être le seul
(de nous trois) à dormir comme un enfant. Je ne dormais pas, mais je me
calmais. A sept heures, la lumière était encore plus belle, l’été plus infini,
le mois de juin changé en juillet, l’été absolu. Versailles, la mer, les fleurs
à l’infini, la ville. Les enfants étaient déjà levés, Marlon et Faye, prêts à
l’aventure. Marc passait et proposait encore du café, mais je déclinais et partais
avant que Faye n’aille réveiller sa mère pour me fêter : « Non, non,
chérie, elle est au courant que je suis là, on est rentré ensemble. Ne la
réveille pas, on s’est couché très, très tard, je m’en vais, on se verra une autre
fois. A bientôt… » (A voix basse.) « A bientôt », disait encore
Faye de sa voix expérimentalement chuchotée quand je tirais la porte sur moi.
Je prenais un vélib’, tout Paris était vide et clair. Je m’approchais de
la tour Eiffel – à l’énorme beauté –, il y avait déjà les touristes (surtout
indiens) pour y monter. Beauté comme la nature, les pyramides. Traverser Paris dans ce vide, cette glissade facile me rappelait Berlin. C’est Berlin que l’on traverse de
part en part en vélo, pas Paris. Paris (je me disais), il faut avoir une raison
d’aller dans les beaux quartiers.
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