Mon petit Dorian, mon chéri,

Comme tu as sans doute entendu dire, je n’ai plus de travail, je ne suis plus la star que j’ai été, j’ai vieilli — situation d’où arrive pourtant une formidable nouveauté  (every cloud has a silver lining) : je suis maintenant beaucoup moins arrogant, beaucoup moins imbu de moi-même, beaucoup moins prétentieux, moins hautain (etc.) Je ne regarde plus avec hauteur le bas peuple et les metteurs en scène concurrents. N’étant plus metteur en scène moi-même ; je redeviens, si Dieu le permet, humble et humide interprète. Oui. Je me mets au service de la loi. Et je suis tout à fait prêt à accepter n’importe quel petit rôle sans barguigner — et, bien entendu, s’il le faut, ça, ça ne change pas, ça ne changera pas de toute ma vie (qui est trop courte), je suis tout à fait ready à bouffer le cul de tout ce qui se présente pour réussir (et j’irai pas me plaindre dans vingt ans, moi, tu peux me faire confiance vu que, dans vingt ans, je serai plus là !) Bisous, mon doux lapereau

Regarde comme c’est intelligent, Tchekhov, quand est-ce qu’on le fait ? 

« — Oui. On nous oubliera. C’est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd’hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n’aura plus d’importance. Et, c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, ou médiocre et ridicule. […] Il se peut aussi que cette vie d’aujourd’hui dont nous prenons notre parti, soit un jour considérée comme étrange, inconfortable, sans intelligence, insuffisamment pure, et, qui sait, même coupable. »

Je retrouve cette citation des Trois sœurs (pièce que je connais bien !) en exergue des Années d’Annie Ernaux…

T’embrasse, 

Yves-Noël