T he Storming of the Bastille
Choc au Nouveau Théâtre de Montreuil, Still In Paradise, le spectacle de Yan Duyvendack & Omar Ghayatt (jusqu’au 11 avril), pas complètement un spectacle, d’ailleurs (mais le mot « spectacle » est comme le mot « roman », il contient tout). En fait, cela ressort du « théâtre engagé », c’est-à-dire de ce que l’on voit partout maintenant, que ça (depuis que je n’ai plus de travail) (on vit vraiment l’âge d’or du « théâtre engagé »), au point que je me suis souvent dit que, moi qui déteste ça (moi qui pense comme Proust, pas comme Sartre), il faudrait que je me coltine d’en faire un, de spectacle engagé, pour voir comment, tiens, moi, je m’en sortirais... Eh bien, ce spectacle de l’Egyptien et du Hollandais, Yan et Omar, j’aurais été fier que ce soit précisément le mien. Même si pourtant je suis bien incapable d’avoir la patience et la ténacité — et l’endurance — et l’intelligence — et l'humilité — de l'avoir bâti. Je considère ce spectacle comme le mien. A cause de quoi ? A cause de l’ambiguïté permanente. Yan m’a expliqué que c’était une volonté, que faire un spectacle pour la tolérance et contre le racisme, le sexisme et l’homophobie, devant le public en circuit fermé du théâtre subventionné, convaincu d’avance, c’était comme pisser dans un violon, alors Omar et lui ont essayé d’aller dans des zones plus râpeuses, moins consensuelles. Et c’est très réussi. C’est comme un brainstorming, en fait. Que pensons-nous ? Où sommes-nous ? Quelles habitudes ? Exemple de ces zones d’ambiguïté ? A un moment, dans l’un des fragments (ça se présente comme une série de fragments d’agitprop qui changent d'un soir à l'autre selon le vote du public), c’est l’immigré d’Egypte qui explique à l’Occidental qu’il faut arrêter d’accueillir les migrants, qu’il ne faut pas aller à Calais, que c’est en Afrique qu’il faut aller aider, mais surtout pas en accueillant les migrants, que c’est trop dangereux, qu’ils ne s’intégreront pas comme les autres vagues d’immigrations l'ont fait à cause de cet ensemble inséparable de la culture et de la religion, que c’est une bombe à retardement. Hors ce n’est pas, ici, un discours d’extrême droite que l’on entend. En fait, l'on ne sait pas trop ce qu’on entend, ce que personnellement l'on entend. Ce n’est qu’un exemple, mais peu à peu l’on s’aperçoit — et le spectacle ne s’arrête pas, déborde et se déverse — qu’on est dans un rapport à une réalité très riche et complexe et que, cette réalité-là, on est en train de la vivre. Voilà, c’est un peu ça, c'est le piège d’un spectacle qui ne produit pas du spectacle, mais de la vie, de la vie qui se pense, mal ou bien, d’une manière chaotique sans doute, intelligences-naïvetés diverses, mais qui se pense...
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