Domaine de la Jalousie, Gérard Mayen
Des mots du bout du doute
Domaine de la Jalousie, d'Yves-Noël Genod
Yves-Noël GENOD
Source : Les éditions du Mouvement // date de publication : 05/10/2006 // 3694 signes.
Avec une lecture-performance donnée à Marseille dans le cadre du festival actOral, Yves-Noël Genod invite à une perception de son écriture comme expérience de la raréfaction.
Lorsqu'Yves-Noël Genod s'installe dans les rangs des spectateurs, pour observer le comédien Guillaume Allardi dire Domaine de la Jalousie – un texte d'Yves-Noël Genod -, il se produit un désordre dans l'ordre du spectaculaire. C'est que même là, depuis les rangs des spectateurs, en position d'écrivain-auditeur-metteur en scène, Genod, la créature Genod, produit une polarisation plus intense, en un sens, que ce qui se produit sur scène. Il ne disparaît qu'au regard de l'attente de son profil de star. Ce transfert d'énergies imaginaires déplace les statuts d'énonciation : sur le plateau, le visage du comédien disparaît, lui, derrière les feuilles sur lesquelles est dactylographié le texte qu'il lit, calé tout au fond d'un fauteuil. Il n'en émane qu'une gestualité imperceptible. Cela pendant deux heures un quart – moins quelques minutes. Les dernières.
Venons directement à celles-ci : Guillaume Allardi ramène alors les feuilles vers ses genoux, met son micro à l'écart, se redresse quelque peu ; livre l'entièreté de son apparence passe-partout à la vue de tous. Densifie sa présence. Elève son incarnation. Quelques phrases restent à prononcer. Notamment, elles citent, ou commentent, Levinas. « Donne moi ce qui sans moi ne serait pas connu »... Une prière, une torsion cosmogonique semblent émaner, en spirale flottante, qui méduse. Ne résoud rien. Ouvre tout en suspension. Indique le vertige pour départ. Ce frisson de présence frémit ensuite, des jours durant. On a entraperçu, souçonné, la trace du sens échappé. Un appel sourd, un dérangement. Quelle est son exacte portée ? Préférons continuer de douter.
La perception du Domaine de la Jalousie s'offre comme une expérience de la raréfaction. Yves-Noël Genod s'y révèle-t-il un écrivain d'importance (ici, sourire...) ? L'oreille peut s'y agacer, de remous d'effets de surface, en bouffissures de postures philosophiques, au fil d'une vanité des captures de l'air du temps. Du reste, tout de l'élégance insolente, de l'aisance démontrée, agace chez Genod. Mais emporte. Déplace. On aimerait écrire : séduit – au sens profond, car il doit bien y en avoir un. Et là, excite : la transition fugitive, l'entame de sens à peine, le copeau lumineux, le pli de dentelle froissée, la magnificence en dérision savante ; le dandysme. Cette écriture porte cette danse du signe, prélevée en émulsion du monde.
Ainsi entendu, Domaine de la jalousie se perçoit comme un parcours glissé de positionnements agiles et points de vue courbés. Le savoir de l'écoute en ressort éduqué, mais l'esprit de sérieux heureusement ravagé. Un trouble tremble dans la lueur de bougies rigolotes, en fond de scène. S'attendrir ? Ricaner ? Montaine Chevalier apparaît sur scène. Passe. On ne sait pourquoi. Elle trimballe le hors-propos. L'énigme, non dramatique. De même courent des bruits du quotidien extérieur, les gens dans l'escalier, la chasse d'eau tirée : artificiels ? Simplement recyclés ?
Ce flottement général se présente en filtre d'une disparition possible de l'immédiateté convoquée par la langue sourde, les résonances suspendues, la diction ténue ; un effroyable talent de pudeur. Il faut entendre, admirer, dériver. S'agacer. Se réjouir. Pourquoi pas ? Ce Genod dans le texte, ce Genod sur les lèvres, ce Genod dans la salle, font venir à l'esprit l'hypothèse qu'une part de l'esthétique d'un Régy pourrait aussi se hasarder sur le podium d'un défilé de mode. Cette idée dérange, perturbe. Tant mieux. Beauté impure.
Gérard MAYEN
Domaine de la Jalousie a été créé les 28 et 29 septembre – mais commenté ici dans un cadre d'avant-première – à La cité (Marseille), en co-production de Marseille Objectif Danse et du festival ActOral.5
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