L égèreté à se sacrifier
J’étais rentré à Paris à reculons. Il y avait la soirée ICCARRE du professeur Jacques Leibowitch pour promouvoir la démédicalisation des malades du sida. En résumé, c’est assez simple : il s’est aperçu qu’à partir d’un certain moment les malades du sida qui doivent prendre un médicament par jour toute leur vie (et pas un médicament innocent) pouvaient ne le prendre, sous certaines conditions, que quelques jours par semaine, voir même, peut-être, quand les recherches auront avancé, un seul jour ; ce qui change tout évidemment. Je me demandais pourquoi une idée si merveilleuse, il fallait se battre pour la promouvoir, mais ma coiffeuse me disait qu’il fallait se battre pour tout. Ce n’était pas une soirée de récolte de fonds, c’était juste une soirée pour faire connaître l’idée (et sa réalité) et tenter d’influer sur les autorités de santé. Peut-être que c’était ça, le lobbying… C’était toujours chez Jean-Paul Gautier, c’était toujours Dominique qui organisait le bataillon des bénévoles et c’est pour ça, puisque j’en étais, que je me retrouvais à servir des petits fours délicieux de chez Liza (« cuisine libanaise contemporaine ») à une foule chic dont j’ignorais les motivations et à qui je n’aurais jamais adressé la parole sans cette astuce de contenance : servir… Des petits fours qui avaient l’air délicieux, je précise, parce que je ne les goûtais pas (jamais pendant le service) à cause de mon régime et aussi parce que, la nuit précédente, je l’avais passée à vomir, je ne sais pas pourquoi. Un ami à qui j’ai prêté mon appartement avait fait brûler de l’encens du Népal et j’étais peut-être allergique à cette odeur qui s’était imprégnée partout, je m’étais demandé. L’atmosphère de Paris, c’était quelque chose d’assez triste. On aurait dit que tout ce qu’on n’aimait pas de la vie en ville était là, maintenant, en façade. Les moches immeubles cossus, forteresses mal agencées, formant des rues sans personne, des ornières plutôt, de vilains recoins. Le fric. La volonté unique de faire du fric. Ma coiffeuse qui a ouvert un atelier à Bruxelles y était ce week-end et elle me disait : « Comme toujours, j’ai les nouvelles quinze jours après tout le monde, je n’avais donc pas compris ce qu’il se passait, j’ai cru arriver dans un film : pas un chat, tout fermé, le brouillard et les soldats en armes qui patrouillent… » Bien sûr, toutes les clientes s’étaient décommandées (sauf une, il faut toujours une exception, comme quand les oiseaux s’étaient arrêter de chanter — lors de l’éclipse — il y en avait eu un ou deux qui n’avaient pas compris). Ma coiffeuse est de droite. Je lui ai dit : « Mais, alors, tu es devenue de droite ? » « Ni de droite ni de gauche », me dit-elle, mais tout ce qu’elle me dit est de droite et d’extrême-droite. Et c’est comme ça, en fait, la vérité, les riches sont de droite et d’extrême-droite. Comme la gauche gouvernementale est une horreur, on ne va pas les dissuader, ils veulent que Sarkozy reviennent, ils auront Le Pen parce que, Sarkozy, il bat de l’aile, quand même, je crois. Moi, mon désespoir politique est achevé, moi qui ai toujours voté, je suis persuadé que je ne voterai plus. Ce n’est plus possible pour moi. Il faudrait être si intelligent pour voir le positif de l’action politique, tout se casse la gueule, tout se délite et qu’est-ce qu’il y a encore à sauver ? A la soirée, on a beaucoup entendu : « Nous sommes des enfants gâtés. On ne se rend pas compte, en France, de la chance qu'on a... le système de santé, l’école, les théâtres, la liberté de la presse… nous sommes des privilégiés… », mais je pensais à chaque fois que ce discours revenait : Oui, toi, moi sommes des privilégiés, c’est un fait, mais ce n’est pas nous qu’il faut convaincre que nous le sommes, ce n’est pas de nos rangs que sortent les djihadistes… » Hier, je sentais un certain souci chez les riches, peut-être une difficulté à faire la fête. « Et si nous avions tout faux ? » était l’ombre d’une pensée que je ne pouvais pas m’empêcher de sentir flotter parmi les esprits vêtus ou dévêtus de noir — ou, comme l’avait dit Pina Bausch du merveilleux ton tragique allemand : « Quelle est notre erreur ? » (elle revenait d’Inde où elle avait vu, bien sûr, la misère, mais aussi la joie de vivre, une joie de vivre irrépressible). Dans l’après-midi, j’avais feuilleté, à la librairie de Paris, le nouveau livre de Gérard Depardieu, Innocent, j’aimais bien le titre. A la soirée, Jean-Paul m’expliquait que c’était lui qui le lui avait suggéré. A Gérard qui se plaignait une fois encore d’être toujours attaqué, il avait dit : « Toi, tu es un innocent » et Gérard avait immédiatement remarqué que ça pouvait être le titre du nouveau livre qu’il envisageait. Pas un saint, non, malheureusement (il n’avait rien contre), mais un innocent. Dans le livre, je voyais que Gérard défendait le droit d’être con (parmi tout le reste), mais, à moi, il avait dit, lors de cette soirée mémorable du mois d’août (dont j’ai parlé ici), il avait dit que, le problème, c’est qu’il était un peu con. Je lui avais répondu poliment que ce n’était peut-être pas un problème (d’être un peu con). Il avait réfléchi et il avait dit : « Si. C’est dommage. C’est dommage. Il aurait mieux fallu ne pas. » Qu’est-ce que je peux vous raconter de plus de cette soirée ? je suis dans le TGV qui me ramène à Lyon. A l’étage. Les forêts sont toutes blanc de givre, c’est magnifique, le graphisme des arbres, la pluralité... Il y avait eu quelques images. En rentrant en taxi, une femme très belle enveloppée d’une couverture. Et Aurèle qui avait fait sur scène un discours auquel je n’avais pas assisté parce que j’étais allé aux toilettes (Essai sur le lieu tranquille), mais qui avait été, paraît-il, très bien (je me souviens, quand j’avais traversé l’immense salle, d'être passé devant Stéphane et lui avoir répété à l’oreille la phrase que j’entendais du discours d’Aurèle et qui était, à ce moment-là : « Qu'est-ce que la mélancolie ? »), Aurèle continuait au restaurant (chez Liza), au moment des toasts et l’image était celle-ci : Aurèle disait : « Je veux Sarkozy en prison… je veux… je veux, je veux vingt banquiers en prison… » et quelqu'un lui bandait les yeux avec une serviette après le mot « Sarkozy », mais ça ne l'arrêtait pas. La serviette était de la blancheur de sa chemise très chic (il était en smoking) et, en aveugle, retenu comme un canasson, il continuait à parler « Je veux… je veux… » Il avait fini son discours par un mot d’ordre qui aurait dû mettre tout le monde d’accord, mais qui ne déclenchait que des sourires un peu exsangues : « Baisez ! baisez ! baisez ! » Justement, à propos, il y avait peu de ragots, ce qui est le plus amusant pourtant dans ce genre de soirée, pas le cœur à ça… Tout le monde était content et heureux de se retrouver, mais tout le monde avait pris un coup de vieux, quand même, un côté Le Temps retrouvé, on ne pouvait pas y croire. Seul un mannequin, Arnaud Lemaire, vous savez, qui a été un moment avec Claire Chazal (après Philippe Torreton avec qui elle s’était fâché parce qu’il soutenait Ségolène Royal) (Claire était là aussi à la soirée, mais elle était partie assez vite), un très bel homme blond, dont Olivier, à ma droite, n’arrêtait pas de dire du mal, jaloux, oui, un gigolo, et alors ? Bel-Ami… (Et Dominique disait qu’il était en ce moment le « Jules par intermittence de Marie-Agnès » (Gillot).) On essayait d’empêcher Olivier de parler trop fort parce qu’ils étaient juste à la table d’à-côté, avec les sœurs Labèque. Arnaud, très beau (« très laid », selon Olivier), faisait aussi une chose qui me troublait : il déployait une sensualité très tactile avec son voisin de table, un barbu assez jeune, il le caressait sans cesse, posait sa tête sur son épaule comme une fauve avec son dresseur. Plus tard, plus esseulé, j’aimais aussi comme il caressait alors longuement le chien de Marie-Agnès, un « chien de table » (ce qui veut dire qu’il peut monter sur les tables) dont j’ai oublié le nom. Le lapdog... « Il le caresse comme s’il se caressait le sexe », disait Olivier, intenable. Mais, moi, je voulais bien qu’il le caresse comme s’il se caressait le sexe, le chien gentil qu’à un moment je pris aussi dans mes bras et à qui je donnais de l’eau dans un verre (tandis que Dominique, elle, lui donnait des bouchées peut-être au bœuf). En partant, je lui fis un clin d’œil d’amitié, au bellâtre, puis j’embrassais chaleureusement Marie-Agnès avec qui je n’avais pourtant pas échangé deux mots dans la soirée. Je la trouve tendue, Marie-Agnès, elle est si belle, mais je n’y arrive pas, « Bonjour-Bonsoir », alors qu’elle danse si merveilleusement.
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