Je me demande si je vais si bien que ça, finalement. Je devrais peut-être arrêter de penser à la mort, je veux dire de réfléchir à la mort. Ce qui me fait penser ça, c’est que je me sens en protection chez Erik Billabert, je suis à Marseille, il m’accueille, je dors avec lui, il m’accueille bien (normal, quoi). Aujourd’hui, il y aura ses enfants, ce sera encore mieux. Ils ont très envie de me voir. Je vais aussi sans doute voir mes neveux, Solal et Anaé, ce sera chouette. Ça va me faire du bien. Hier, j’ai vu mon père dans sa clinique de réadaptation à Marcy l’Etoile, rue des Sources, la clinique IRIS. Ça m’a fait plaisir, bien sûr. C’est chouette de voir la vie se frayer un chemin toute pimpante à travers une vieille carcasse. (Une voiture d’occasion.) Il est plus blanc, il souffle pas mal, il s’assoit sur des bancs, il dit : « Tu sais, on peut changer de banc, il y en a plein (partout). » On était sur le parcours où, tous les vingt mètres, il y a un gros bouton rouge d’alarme marqué « appel en cas d’urgence ». Il me dit (en plus) que c’est sans doute pas la personne qui a un problème qui est capable d’appuyer sur ce bouton. Le père d’Erik vit avec le cœur d’un Anglais depuis plus de vingt ans. (Le cœur était censé tenir quinze ans.) Lui non plus n’a pas envie de mourir. Il dit qu’il a encore plein de choses à lire, Bergson… Quant à la mère d’Erik, elle a soixante-douze ans et elle n’est toujours pas à la retraite. (Elle n’a pas défilé dans les rues.) Comme son entreprise ne pouvait plus l’employer légalement en tant que salariée, elle est passée artisan, elle se demande même si elle ne pourrait pas passer entrepreneur, si ce ne serait pas plus avantageux (par rapport au fisc ?) Enfin, voilà, les vieux ont l’air d’avoir la pêche, mais, nous, avec Erik, on se demandait quand même si ça valait le coup de prolonger comme ça la vie (avec toute la souffrance et la diminution qui peut aller avec). Son père a quatre-vingt-huit ans et on lui propose de l’opérer. Il a mal au dos à cause du même staphylocoque qui a bouffé son cœur et qui s’était auparavant attaqué à la colonne. Erik a le projet de se shooter à l’héroïne pour en finir un jour, si c’était trop dur. Je l’ai serré dans mes bras en l’appelant : « Mon héros ». Michel Houellebecq est très contre l’euthanasie, le père qu’il met en scène dans son dernier livre va en Suisse, à Zurich, dans une clinique pour en finir. Michel Houellebecq trouve ça affreux. Le pire. Ça et la dispersion des cendres, il n’aime pas non plus. L’être humain ne doit pas attenter à ses jours et on lui doit une sépulture. C’est comme ça. Oui. En même temps, la médecine est capable maintenant de prolonger tellement la vie. Et la dépression a son mot à dire. Peut-être que je suis un peu déprimé. Voici une définition de la dépression par Pierre Guyotat (la recopier). La dépression, c’est justement ça, la sensation que ça ne finira jamais. Vivement
La Mort d’Ivan Ilitch (à Lausanne les 3, 4, 5 décembre) qu’on y voit plus clair (dans le clair-obscur) ! Penser, j’y arrive mieux sur un plateau, c’est sûr. Même – et surtout – penser à la mort. J’étais content de voir mon père, mais je le verrai encore mieux sur un plateau. Hâte de le revoir mourir en scène !