Wednesday, July 29, 2015

K leider machen Leute (note d'intention de l'été)


Je suis à Lyon de nouveau, je lis Dictionnaire Tchekhov (de Françoise Darnal-Lesné), c’est émouvant. Tchekhov qui publie encore sous pseudonyme (Tchekonte) reçoit pour la première fois, après cinq ans de publications éparpillées dans les journaux, une lettre d’un de ses pairs qui lui dit : « Attention, vous avez du talent, ne l’éparpillez pas, n’écrivez pas sous pseudonyme, concentrez-vous et dédiez-vous à ce talent, ne faites rien d’autre même en crevant de faim, je vous assure que ça vaut le coup (et mes amis aussi le pensent à qui je vous fais lire) ». Tchekhov répond que c’est la première fois qu’on lui parle sans condescendance de son talent littéraire, que, oui, il sait qu’il s’éparpille, mais c’est que personne, personne depuis ses débuts ne l’a considéré autrement qu’avec une tape sur l’épaule, « Bon, c’est pas mal, mais n’abandonne pas la médecine » — et que, deuxièmement, voilà, il y a la médecine et qu’on ne peut courir deux lièvres à la fois, il se le répète toutes les nuits, mais il n’est pas seul, il a sa famille… C’est très émouvant. Il y aura, pour le premier spectacle, Tchekhov (La Cerisaie, Florence) et Shakespeare (Macbeth, Manuel), ça ne va pas du tout ensemble, on s’en fiche, c’est encore mieux ! Manuel m’a écrit un mot comme j’aime, moi aussi, qu’on me parle ; je ne m’inquiète déjà plus, ce premier spectacle est à portée de main. La suite est plus floue… J’ai beaucoup d’espoir sur Joyeux animaux de la misère (Thomas), mais c’est difficile, j’aimerais bien en entendre un bout avant de partir (en congés !) ; Le Rouge et le Noir (Charles avec, je l’espère — que ça se retrouvera car c’était beau à l’audition —, Emilia) ; Carmen (Odile), Gabriel travaille sur un Don Juan, etc. Il y aura peut-être du Dante, du Virginia Woolf, j’aurais aimé Richard II, un des plus beau personnage du monde, ce roi qui se laisse fondre au soleil… Et Perceval le Gallois, c’est tellement beau. L’évangile (l’un des), l’inversion des valeurs (« Celui qui cherche à sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie, celui-là la sauvera »)… Et puis que quelqu’un se charge de conférences, je ne sais pas sur quel sujet, l’astrophysique, peut-être, des vraies conférences. Je parle beaucoup des acteurs, mais je voudrais que ce spectacle soit beaucoup plus dansé et chanté que joué, en fait (mais je fais confiance aux chanteurs, danseurs parce qu’ils ont de l’entrainement, notion rare à notre époque). Jeanne et Bertrand préparent des choses sublimes. César qui a aussi de l’entrainement (dans un autre domaine !) sera là pour le N°5 (qui gardera sans doute ce titre). Je cherche encore un chanteur, un musicien, un danseur, un acrobate. Je cherche aussi un acteur comique. Ça me manque (après avoir eu les meilleurs). A propos de Gabriel, je vais essayer de reformuler ce que je lui ai dit (et aux autres que j’ai rencontrés) et qui l’a fait s’exclamer : « Ah, mais, si c’est ça, ça fait peur », le moment où il a compris ce que j’espérais qu’il comprenne (j’espère qu’il ne s’éloignera pas de cette sagesse). Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais il s’agit de se rendre compte de l’enthousiasme de cette ambition : travailler avec des auteurs, pièces ou livres (ou même par le biais du personnage). Michel Houellebecq, dans sa dernière œuvre, décrit son protagoniste comme un étudiant puis, plus tard, un professeur spécialiste de Huysmans qui, pendant des années (les années où il écrit sa thèse) ne vit que dans la proximité de Huysmans, il n’a pas d’amis, il n’a qu’un seul ami, c’est Huysmans, et cet ami et lui vivent dans une intimité qui le maintient en vie. Houellebecq explique dans une interview qu’il a voulu transposer un peu, mais que c’est exactement ce qu’il lui est arrivé, lui, avec Baudelaire. J’ai un ami à Bruxelles qui travaille sur une biographie (qui va lui prendre plusieurs années) de Klaus Mann (le fils de Thomas Mann, écrivain aussi) et ce travail lui a été proposé et il l’a accepté avec enthousiasme parce qu’il a une relation particulière avec c’est auteur des années vingt. Il m’a dit que lui qui ne pleure jamais, il a eu, dans certains de ses livres, devant certaines phrases, les larmes aux yeux. C’est cette relation particulière que je voudrais montrer sur un plateau, cette tendresse particulière : « parce que c’était lui, parce que c’était moi », comme a dit Montaigne. Bien sûr, nous, nous ne sommes que des acteurs et  nous n’allons pas passer des années dans la solitude d’une seule amitié de ce genre, nous sommes programmés pour passer d’un auteur à l’autre, mais, avouez que cette relation fait envie et qu’elle est celle que nous recherchons à chaque fois. « Aimer une seule chose suffit », a dit Peter Handke. Dans ce même roman, Michel Houellebecq explique aussi que ce n’est pas si important qu’un livre soit bien ou mal écrit (et, de la même manière, ce ne sera pas important, pour moi, la façon dont vous vous y prenez, choisissez celle qui vous convient le mieux, qui vous donne liberté et audace). Ce qui compte, dit Michel Houellebecq, c’est que l’auteur soit vivant dans son livre. Et, en effet, les classiques, ce sont des livres où, on ne sait pas par quel miracle d’ailleurs, les auteurs sont restés vivants dedans, Montaigne est vivant dans son livre, Rabelais est vivant, François Villon ou bien Homère, Shakespeare, Proust, Molière, etc., Jésus est vivant dans les Evangiles alors que ce sont d’autres qui les ont écrits (de même Bouddha)… Il dit que les livres, au contraire, ne restent pas parmi nous quand la présence de l’auteur est transparente, plus floue, fantômale et que, ces livres, si on tombe dessus, on les trouve alors chargés de choses et d’autres appartenant à l’époque où ils ont été écrit, mais qui ne nous concernent plus. Et Michel Houellebecq dit encore que c’est important que les auteurs soient vivants dans leur slivres, parce que, la lecture, c’est alors une conversation entre un lecteur vivant et un auteur vivant, vous comprenez ? entre deux personnes vivantes. C’est cette vie que je veux voir, c’est ça que l’on voit toujours quand un acteur réussit son coup : le rapport personnel, votre conversation intime, vivante, vibrante, libre, abandonnée, impudique et sans tabous avec beaucoup de jouissance (la jouissance de la compréhension) avec cet auteur que vous vous êtes choisi comme alter ego. « Il faut que le théâtre passe à travers les larmes », avait dit Klaus Michael Grüber. Un dernier exemple en date pour moi, c’est Dominique Valadié avec Botho Strauss dans Trilogie du revoir que j’ai vue à Lyon. Un rapport d’égal à égal (et du coup, à égalité aussi avec le spectateur : d’égal à égal à égal). Un titre possible pour l’un des spectacles : La Vie en grand. C’est le contraire exactement de la répétition. Il n’y aura pas de répétitions, il n’y aura que des représentations, en fait, et c’est pour ça qu’on fera le spectacle en un jour et qu’on se reposera les jours suivant contrairement à Dieu qui a fait le contraire. Sinon, que ceux qui ne se sont pas lancés dans ce travail se rattrapent par la méthode Jonathan (approuvée hier) : m’envoyer des fotos de costumes. C’est connaître mon point faible. Le costume peut vous faire sauter la nécessité d’avoir à passer le bac pour passer à l’université ! « Kleider machen Leute », comme disent les Allemands, « Les vêtements font les gens ».  A bientôt, au plaisir, bonne vacances. Prévoyez si vous pouvez avant de partir (et dites-moi) quand vous pourrez passer (pour ceux qui le peuvent) en août ou début septembre pour ne pas exploser le budget voyage. Je voudrais, comme je disais, qu’on se voit même quelques heures, même un jour ou deux pour ceux qui le peuvent, mais afin d’avoir une perspective de l’ensemble projeté (ne pas se retrouver à chaque spectacle au pied du mur parce que, là, j’ai peur que ce soit au-delà de mes forces). Pour venir au théâtre, en venant en train, le mieux est d’aller jusqu’à Perrache (la gare après Part-Dieu), de sortir vers le centre-ville et de descendre, après une passerelle, par des escalators vers la gare routière, gros bâtiment accolé à la gare, en bas à droite au fond, d’aller attendre le bus C21 direction Gorge de Loup et de s’arrêter à Point du Jour, la rue des Aqueducs est la suivante sur la droite. Ceux qui ont besoin de logement, apportez vos draps, c’est plus pratique (mais si vous êtes chargés de ces costumes tant désirés, laissez tomber). Dominique Valadié dit (dans des vidéos sur DailyMotion) : « Finalement, quand je lis le texte, je ne m’attache pas tellement à la psychologie du personnage, à des choses comme ça, ça m’intéresse pas tellement. Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’ai envie de dire. Les phrases que j’ai envie de dire. Et de les dire… d’aller aussi loin que possible dans le présent pour les dire, dans ma présence quand je suis sur le plateau au moment où je les dis. C’est ça qui me plaît le plus et qui, très certainement, a une influence sur ma vie, ma pensée et, oui, la façon dont j’évolue, sans doute. » Je nous souhaite de dire ce que nous avons envie de dire pendant ces quatre mois d’écriture où l'on nous prête un théâtre pour ça, 

Yves-Noël

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C ommuniqué (2)



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C ommuniqué


Yves-Noël Genod prépare pour la rentrée de septembre et jusqu’en décembre, au théâtre du Point du jour, une sorte de « festival d’automne » qu’il intitule : Leçon de théâtre (et de ténèbres). C’est, à partir du noir total, c’est-à-dire, tout simplement, de la métaphore de la fameuse (et dévoyée) « boîte noire », un essai qui se veut instinctif, sans dramaturgie, ou si peu, crédule, presque, un jeu sur le théâtre et l’apparition de sa transparence. 

Le projet se déroule en sept épisodes et un épilogue, soit un spectacle toutes les deux semaines (théâtre « permanent » oblige). La première est le 22 septembre. La dernière le 31 décembre. La lumière change, les personnages vont et viennent, les pièces et les livres se feuillettent et s’imposent, les danses s’alourdissent ou s’envolent.  Du théâtre, il n’y a que la trace, que la beauté. Il n’y a peut-être pas de spectacle car « la beauté est dans l’œil de celui qui regarde ». Alors, il n’y a rien, rien que du vide qui n’est pas vide.

« Car je cherche le vide, et le noir, et le nu ! » — écrit Baudelaire dans Obsession. Oui, c’est obsédant que de vivre, de mourir, de passer le temps, d’écrire ou de faire du théâtre, de regarder et d’aimer, de toucher, de désirer le réel. Il est conseillé de suivre la « leçon » dans son ensemble. La leçon s’adresse à une troupe de spectateurs. Blaise Pascal écrit dans son célèbre texte sur le divertissement que « le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». Ce qu’Yves-Noël Genod se propose, c’est de montrer l’homme en repos dans cette chambre noire du théâtre, cette chambre interne au cerveau humain, ce « parc intérieur », pour reprendre le titre de l’un de ses spectacles à Avignon.

Les spectacles (les épisodes) sont numérotés. Le premier s’intitule : Manuel de liberté. Il ouvre le bal. Il a lieu du 22 au 26 septembre. Il y a trois avant-premières, les 19, 20, 21. Le deuxième n’a pas encore de titre mais aura lieu deux semaines après le premier épisode et ainsi de suite, à un rythme fou. 

L’ensemble est l’entrainement à du théâtre dans un monde sans mémoire…

(D’après des propos recueillis d’Yves-Noël Genod.) 




Calendrier des représentations :

Du 22 au 26 septembre (plus trois avant-premières les 19, 20, 21), titré : Manuel de liberté

Du 6 au 10 octobre (plus trois avant-premières les 3, 4, 5) 

Du 20 au 24 octobre (plus trois avant-premières les 17, 18, 19)

Du 3 au 7 novembre (plus trois avant-premières les 30 octobre, 1er et 2)

Du 17 au 21 novembre (plus trois avant-premières les 14, 15, 16), titré : N°5

Du 1er au 5 décembre (plus trois avant-premières les 28, 29, 30 novembre)

Du 15 au 19 décembre (plus trois avant-premières les 12, 13, 14)

Epilogue : Du 29 au 31 décembre (plus trois avant-premières les 26, 27, 28),titré : Rester vivant



Toutes les représentations et les avant-premières ont lieu à 20h au théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, dans le cinquième arrondissement, à Lyon, sans réservation. Prix unique : cinq euros. Avant-premières gratuites.




Blog (pour suivre au jour le jour) :





19 possibles définitions du théâtre d’YNG selon IB (Isabelle Barbéris) :

La tragédie comme théâtre de l’incertitude.

L’exposition non des choses mais des écosystèmes — ne plus isoler les  choses. Analyser les polarités (cf. Goethe dans son Traité de sciences naturelles).

Un théâtre où le théâtre (par-delà le costume) est le personnage principal.

Un théâtre de l’économie de l’attention. Qui déroute toute tentative de focalisation et sollicite un niveau « pré-attentionnel » chez le spectateur.

Un théâtre où le contact se réduirait à des « micro-contacts » (également au sens sonore).

Un théâtre qui confronte, met côte à côte la mélodie et le bruit et où les airs (aria) se substituent au dialogue.

Un théâtre de l’incertain.

Un théâtre sans entracte... où il n’y a plus que « de l’entracte ».

Un théâtre sans dramaturgie, où la playlist, les invitations, les guests, le train-train des entrées et sorties ont remplacé toute velléité dramaturgique.

Un théâtre de Merlin et non d’Orphée.

Un théâtre « anamorphosé » (Mylène Farmer).

Un théâtre sans bruit ni fureur.

Un théâtre du « virtuel-actuel » (la notion de Bergson : le virtuel-actuel serait la structure de la mémoire. Un spectacle d’YNG révèle l’oeuvre dans sa virtualité, sans la réaliser).

Un théâtre donc qui parlerait de l’irréalisé.

Etre dans le costume sans se l’approprier : un théâtre où le comédien mesure la distance qui le sépare du costume, de l’intérieur. Fondre (comme Richard II) et se réduire dans le costume « cristallisé ».

Un théâtre où la forme préexiste au contenu — c’est l’idée du kitsch, qui empêche toute dialectique.

Un théâtre qui raconte de manière désordonnée, et plaque non pas de l’ordre mais du « diffus » sur le chaos.

Un théâtre non pas qui propose, mais qui dispose.

Un théâtre entre l’immobilité et le chaos.

Un théâtre de dieux mortels (dans les deux sens du terme).



Bio d'Yves-Noël Genod :

Yves-Noël Genod ne se présente lui-même que comme un « distributeur » de poésie et de lumière ; il n’invente aucun spectacle qui n’existe déjà. Il fait passer le furet « passé par ici, il repassera par là », comme dit la chanson. Il révèle. En effet, pense-t-il, la révolution sera la redistribution des richesses accaparées. Son art a été qualifié de « théâtre chorégraphié ». Ce comédien prétend s’effacer derrière une œuvre qu’il désirerait n’être que traces, mais dans l’optique pascalienne qui dit que : « Nul ne meurt si pauvre qu’il ne laisse quelque chose ».

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L a Condition humaine (2)


Matthias Hejnar

L a Condition humaine


Gabriel Tur