Friday, December 07, 2012

Chez Dominique, vue d'hiver, Paris






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« Tu vas donc te remettre à la pioche ? Moi aussi... Que ferons-nous ? Toi, à coup sûr, tu vas faire de la désolation, et moi de la consolation. Je ne sais à quoi tiennent nos destinées. Tu les regardes passer, tu les critiques, tu t’abstiens littérairement de les apprécier. Tu te bornes à les peindre en cachant ton sentiment personnel avec grand soin, par système. Pourtant on le voit bien à travers ton récit et tu rends plus triste les gens qui te lisent. Moi, je voudrais les rendre moins malheureux. »

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Laurence Wasser


Photo Caroline Breton.

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The Truth is there’s nobody that I’d like to have dinner with



Aurélien Bellanger disait : « Tiens, au fait, la peau, c’est de quelle couleur, je me demandais, ma peau, c’est rose ou c’est jaune ? » Et son ami Thomas Lévy-Lasne répondait : « Eh, bien, c’est ça qui est bien avec la peau, c’est qu’elle n’a pas de couleur. Elle est transparente. » Thomas Lévy-Lasne me parlait un peu de Bruno Perramant avec qui il venait de donner une conférence sur la peinture, le thème précis, je ne l’ai pas retenu, « une conférence dépressive », me disait-il, à laquelle je n’avais pas pu aller parce que j’avais une place pour voir La Chance, le spectacle de Loïc Touzé. Je remarquais que c’était sans doute le premier spectacle de Loïc que je voyais parce qu’avant — j’étais dedans — et je remarquais aussi que Loïc avait beaucoup d’empathie pour ses interprètes. Amélie Blaustein Niddam, avec qui j’avais parlé, avant le spectacle, de mes déboires avec mon ex, sortait maintenant de La Chance en me disant : « Ça me fait trop penser à tes spectacles ! » Je lui répondais que c’était possible que Loïc m’ait influencé puisque j’avais passé neuf ans avec lui. C’est vrai, on pense toujours à Claude Régy ou à François Tanguy, mais j’ai aussi passé beaucoup de temps avec Loïc. Avant le spectacle, Laurent Goumarre me disait qu’il connaissait plein de gens qui avaient ces arguments contre le mariage gay — les mêmes qu’utilisait Pierre — qu’au niveau symbolique, les mots « papa », « maman », « garçon », « fille », etc. allaient disparaître. « C’est pas vrai, en plus, disait-il, les mots « père » et « mère » ne disparaissent pas du projet de loi. C’est Frigide Barjot qui a lancé ça... » Pendant la soirée, je discutais avec plusieurs personnes de la question, mais Stéphane Bouquet pensait que la loi n’allait pas passer. J’étais moi-même assez inquiet à cause des « débats » qui allaient s’éterniser (le vote était repoussé encore à février). Stéphane Bouquet me faisait rire en me disant qu’il fallait supprimer le mariage pour tous. (J’étais d’accord.) Je lui disais qu’il n’avait pas besoin de développer, que je lisais ses livres que je portais au plus haut et que c’était clair, on ne peut plus clair (qu’il ne devait pas être pour le mariage) ! J’avais une autre idée qui me plaisait. Celle de me marier — si la loi passait — avec un hétérosexuel, pour montrer mon accord plein et entier. Pas avec un pédé (trop fourbe... trop ambigu...), mais avec un bon et gras hétéro ! Je le voulais beau et riche ou beau ou riche ou riche ou beau et je commençais à rédiger la petite annonce aidé par Nicolas Marie, le très beau, mais qui déclinait mon invitation puisqu’avec Adèle — que je lui demandais de me présenter : Adèle, très belle, en effet, répondait à ma question qu’elle n’avait pas envie de se marier. La place était donc libre, réitérais-je ! Nicolas, incroyablement sexy, était enveloppé d’une gangue protectrice, un cocon, une sorte de paroi invisible sans doute bâtie chez Hubert Colas, à Montévidéo, où je l’avais connu. Frédéric Danos avait fait la cuisine de cette party d’anniversaire qui suivait le spectacle de Loïc à la Ménagerie de verre. L’anniversaire d’Anne Steffens. Le public était parti et d’autres gens étaient arrivés (à 23h), c’était un peu étrange, un peu Paris. Je ne savais pas à qui me raccrocher. J’étais un peu nerveux parce que Thomas Scimeca était là et que, la dernière fois que je l’avais vu, il m’avait fait une scène épouvantable (dans un état quasi comateux, il faut dire). C’était vers cinq heures du matin au « dix ans du Rond-Point », mais, là, il était sur le mode « je suis tout gentil, je suis Toto » : « Tu ne m’embrasses pas ? — Parce que c’est à moi de t’embrasser ?!! — Si c’est moi qui te le demande... » Bon, alors j’embrassais la bonne joue d’enfant de Toto. Caroline Breton (qui pensait qu’elle avait œuvré à la réconciliation) avait des doutes sur notre relation. « Mais — est-ce qu’à Valérie — tu lui parlerais comme ça ? » (Valérie Dréville.) « A Valérie, je lui dis vous », je répondais. Furieuse, alors. « Mais c’est pas vrai, enfin ! » Je ne sais pas quel était le drame entre nous. Peut-être lui touchais-je les seins ? Hélèna Villovitch, elle aussi tout sucre, tout miel — je pensais — parce qu’elle exhibait un jeune homme (« Yann ») qui était visiblement son admirateur éperdu. Un peu comme le mannequin qu’on voyait, pendant un moment, sur les photos avec Claire Chazal. Cougar, pensais-je : le jeune homme avait l’âge de son fils. Pourquoi pas ? Elle allait publier un livre en février : L’Immobilier, aux éditions Verticales. J’essayais de faire passer Caroline Breton pour ma nouvelle copine et je levais des petits jeunes en vue de partouzes échangistes, mais Caroline ne jouait pas le jeu. « Trop jeune ! », disait-elle. Le jeune en question dont j’oublie le prénom et que j’avais choisi parce qu’il était une sorte de mixte entre Thomas  Scimeca et Julien Gallée-Ferré — une chimère, donc — répondait qu’il n’allait pas  « participer », mais qu’il voulait bien filmer. Il faisait des études de cinéma, de montage, pour être précis. (« Réalisation, ça ne s’apprend pas », m’avait-il dit.) Erik Minkkinen m’inquiétait parce que je remarquais ses dents noires. La drogue, me demandais-je ? J’admirais Thomas Lévy-Lasne, le peintre, et surtout Aurélien Bellanger, le très beau. Ils ne se quittaient pas. Ils avaient l’air de droite. Autant les pédés de droite m’attristaient — « passions tristes », avait dit Olivier Steiner, — autant les hétéros de droite me fascinaient. Pas Caroline qui disait qu’il y en avait plein des comme eux dans son lycée, je ne sais pas lequel — où, d’ailleurs, elle avait connu Valérie qui, de la Comédie Française, venait pour donner des cours. « Mais, Caroline, je te présente du beau monde, tu ne te rends pas compte. Aurélien Bellanger, c’est le top, lis son livre ! » Je quittais donc Caroline pour rabattre à ma proposition (de mariage) un type — très beau — qui se faisait appeler Laurence « comme la fille » — Laurence Wasser — et qui n’était pas seulement beau et les dents blanches, mais aussi très gentil et qui, lui, jouait le jeu, racontant à tous ses amis que nous allions effectivement nous marier, que la proposition lui plaisait. Du coup, j’étais tout ému et je devenais tout timide, n’arrivant même pas à le prendre en photo, mes doigts tremblaient. Je deviens timide quand quelqu’un est gentil avec moi. La méchanceté est la norme. J’avais compris ça depuis le drame avec Pierre Courcelle. Mais qui allait  un jour — cesser de piétiner mon âme... ?

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Les Activistes

Ce n’est pas mon cas


« Gere dit que la haine lui est un sentiment inconnu et que la colère, il a appris à la bloquer avant qu’elle ne l’envahisse. Il est par ailleurs en excellente santé. » Ce n’est pas mon cas. J’ai encore du chemin à parcourir avant de toucher la lumière (et ne pas m’y brûler les ailes). J’ai vu un spectacle sur le Rwanda, le génocide du Rwanda et je me suis reconnu. Catharsis. C’était la reconstitution d’une radio très populaire qui appelait aux meurtres au moment du génocide des Tutsis par les Hutus. On écoutait cette radio et les témoignages à travers une wifi. Caroline Breton enlevait son casque à la première horreur racontée, les seins coupés, les jambes des fillettes coupées, mais j’écoutais fasciné, bloqué dans la catharsis. Je revivais la haine et la colère qui m’avaient saisi — toute proportion gardée — à l’intervention et aux explications de Pierre Courcelle, mon ami absolu, contre le mariage gay — qui m’avaient mis hors de moi. Oui, j’étais capable de comprendre l’inconcevable (qui n’en restait pas moins inconcevable), reconnaître que le voisin pouvait tuer la voisine, ouvrir le ventre de la femme enceinte, ouvrir le ventre du fœtus ; l’écoute de ce spectacle me faisait moins mal que les récits de massacres réunis par Pierre Guyotat dans son anthologie de la langue française, mais j’allais quand même mettre plusieurs jours à m’endormir sans y penser. Le spectacle a lieu à la Villette jusqu’au 15 décembre, il s’appelle Hate Radio. Il est de Milau Rau, spécialiste d’un théâtre de reconstitution. Actuellement à Moscou pour un procès contre, pas les Pussy Riot, mais genre.

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L’extraordinaire réalité, le rond de la table, les serveuses, les filles vues de dos, de face, les garçons, beaux, les filles déguisées en garçon. Les filles. Le mardi et déjà la semaine est finie. La semaine des quatre jeudi. Oui, le temps s’amenuise, s’amplifie. Les hommes du temps présent sortent du temps passé. De Cranach. Portraits de Cranach. Car il n’y a plus de portraits, seulement des fragments de chats. « It is a nostalgia for his own life that he feels, perhaps »  mais la suite, que je ne retenais pas tout d’abord, est intéressante elle aussi  « a memory of his own boyhood as a son to his father. » J’ai sur ma table une photo dont je ne sais pas quoi faire. Un très bel homme, barbu et hilare, tenant contre lui un immense saumon ensanglanté. C’est dans la baie de Bristol, en Alaska. Il y a cette « nostalgie » (tout est nostalgie chez moi), par l’écriture, de rassembler les fils. Je lis très peu, je n’apprends rien en lisant. J’apprends de Pierre Courcelle. Ça, je relis plusieurs fois. S’il me fallait l’apprendre par cœur, je le ferai – si je ne pensais pas que le « par cœur » dénature la vie, la vie d’une chose. Aimer une chose – ou l’observer – la change. Je réajuste à ce que je dis. J’écris, ce soir. 



« In the presence of extraordinary reality, consciousness takes the place of imagination. »

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