— Le spectacle est
différent de sa version présentée à la Condition des soies, au Festival
d'Avignon, l'été dernier. Il est plus long, votre voix est enregistrée et des
enceintes encerclent les spectateurs. Comment ces nouveaux choix se sont-ils
opérés ?
— Eh bien, je progresse
dans la connaissance de l'œuvre de Charles Baudelaire (et je n'ai pas fini :
c'est infini !), alors, voilà, c'est 2 fois plus long. La voix enregistrée,
c'est parce qu'il y a un mois, je suis tombé gravement malade et j'ai pensé —
dans l'état d'épuisement et de douleur dans lequel je me suis trouvé — que je
n'allais pas pouvoir être présent physiquement dans le spectacle, et, plutôt
que de l’annuler, j'ai imaginé qqch qui pourrait se jouer quand même, si même moi, j'avais disparu... (mais ça va un peu mieux, vous avez vu...)
— J'imagine que le
spectacle a totalement été repensé, restructuré... Comment avez-vous travaillé
avec le concepteur son Benoit Pelé et le concepteur lumière Gildas Gouget ?
— J'ai travaillé couché
dans le studio d'enregistrement à Bruxelles, puis couché dans mon lit, la nuit,
à m'enregistrer à l'iPhone (dans des états de crevure dont le spectacle porte
trace) et j'envoyais les enregistrements à Benoît. Gildas a été très actif. La
présence, l'utilité d'un assistant ne s'est jamais fait autant sentir. C’est
Philippe Gladieux qui a fait la lumière.
— Pouvez-vous nous parler
de ce qui vous a motivé dans l'écriture et la mise en scène de Rester vivant ?
— Alors, ça, non, je serais
bien incapable de vous en parler. C'est à vous de le faire. Moi, je cherche à
ne pas savoir (et j'y arrive !) Mais je serais ravi d'apprendre ce que vous en
pensez. C’est le public qui me motive.
— Dans le spectacle, vous
évoquez un entretien avec le metteur en scène Romeo Castellucci au sujet de sa
pièce Le Sacre du printemps, où il
lui était posé « Le théâtre peut-il exister sans présence humaine
? », le Festival d'Automne a également présenté El Triunfo de La
Libertad, de La Ribot, une pièce sans
acteurs, que pensez-vous de ces nouvelles formes de théâtre ?
— J'aime infiniment La
Ribot, mais je n'ai pas vu sa pièce. C'est dans l'air du temps, probablement.
Mais, enfin, ce n'est pas nouveau-nouveau non plus… Moi, j'ai déjà présenté un
spectacle sublimissime sans acteurs (avec déjà Benoît Pelé), c’était le
deuxième volet de — je peux / — oui au TCI, il y a, je ne sais plus, vérifiez la date, en décembre, il y a
2, 3 ans...
— Parler de mort dans le
noir pendant plus de 2 heures, c'est une façon de mettre le spectateur face à
ses propres peurs ?
— Peut-être. Je ne sais
pas. Charles Baudelaire a à voir avec la lucidité, ça, c'est sûr... C'est lui
qui en parle tout le temps : « Car je cherche le vide, et le noir, et le
nu ! » (etc.) De quoi avons-nous peur ? de notre propre obscurité ou
de la lumière ? Nelson Mandela est supposé avoir dit que c’est de la
lumière.
— Dans 1er
Avril, vous utilisiez déjà le noir
profond du théâtre des Bouffes du Nord pour « habiller » les voix du
contre-ténor Bertrand Dazin et de la soprano Jeanne Monteilhet...
— Le noir, c'est, par
définition, le théâtre (« boîte noire »).
— On peut souvent vous
apercevoir dans le hall du théâtre ; vous nous demandez si nous sommes
bien allés aux toilettes, vous nous offrez également une coupe de champagne
avant de rentrer en salle... Quelle(s) relation(s) entretenez-vous avec votre
public ?
— Oh, je suis
tellement ravi que les gens viennent ! (et tellement étonné…) J'aimerais
entretenir une relation personnelle avec chacun des spectateurs. C'est un acte
d'amitié.
— Au départ, Rester
vivant devait se composer des poèmes
de Michel Houellebecq. Charles Baudelaire, Michel Houellebecq, même combat
?
— J'ai l'impression, oui.
En tout cas, Michel Houellebecq le dit : Baudelaire est son double, son maître,
son frère, son référent...
— Je suis curieux de savoir
si vous avez « vécu » la pièce This Variation, de Tino Sehgal à la Documenta 14, à Kassel. Il
s'agissait d'un espace totalement noir habité par des chanteurs et des performeurs,
dans lequel le visiteur pouvait rester toute la journée, 5 mn, 2 h...
— Oh, malheureusement, non.
J'adore Tino Sehgal.
— Avec quel(s) livre(s) vous
endormez-vous le soir ?
— La Folie Baudelaire, de Roberto Calasso, excellemment traduit de l'italien
par Jean-Paul Manganaro (Gallimard).
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