Avec quel amour étais-je
parti au château de Versailles, avec quelle vitre
L’invraisemblable beauté
des rivières corses — et des nuits corses ; pour le reste :
l’écrasement du soleil
Une fois dans cette
dernière page sur l’état de l’apparition où Marguerite réveille Yann en pleine
nuit pour lui dire des trucs (ce qu’elle faisait souvent), un mot avait sauté
dans l’une des dactylographies, le mot « peu » et Claude Régy l’avait
fait remarquer. C’est une suite de « pas assez » ou de « trop
peu » (d’écrire comme ci, d’écrire comme ça) et, à un moment, dans la
liste, il y a simplement : « c’était trop d’écrire… » et
Marguerite avait dit que c’était pareil, « trop », « trop peu », et elle n’avait pas
rectifié.
Marguerite est l’une des 2
personnes les plus intelligentes que j’aie rencontrée de ma vie. L’autre est
François Tanguy. Claude Régy ? Non, Claude Régy, il s’« occupe de
choses intelligentes ». Claude, c’est plus une puissance, un instinct (il
le dit lui-même). J’aimerais bien fréquenter encore une personne intelligente,
je ne sais pas si c’est possible… c’est un tel plaisir ! La vie devient
une telle partie de plaisir. Ce
n’est pas que les personnes intelligentes ne disent jamais de conneries, mais
elles peuvent s’amender. François Tanguy était très homophobe. Chaque jour, à
table, une réflexion sur les pédés, c’était gênant. Et puis, en tournée, où
tous ces jeunes coqs baisaient comme des rock stars, j’étais censé, moi, me
taper des mecs (if only…), c’était
gênant. Et puis un jour, ça a été fini, à la seconde, les allusions de Tanguy à
l’égard de ma soi-disant homosexualité. Parce qu’il était littéralement tombé
amoureux, à Montréal, d’un jeune bûcheron de 18 ans, avec un accent à couper au
couteau, mais qui n’aurait pas déparé la couverture de « Têtu ». Il
ne le quittait pas d’une semelle. Il avait fallu louer un petit car (pour la
troupe entière) pour aller le voir dans sa forêt pleine de moustiques. Et puis,
en partant, vers la route de l’aéroport, comme nous étions tous tristes et au
bord de pleurer (de quitter ce séjour merveilleux), je lui avais dit :
« Mais, toi, tu vas revenir, tu as un ami, maintenant… » Il avait compris instantanément,
il avait dû réaliser à la seconde qu’il avait désiré comme une bête ce garçon,
il est vrai, surgi de l’Olympe — ou d’un livre de Pierre Guyotat. Et ç’avait
été fini pour toujours, les allusions salaces de François Tanguy à mon égard.
Il est rare que je parle ici de François Tanguy — pourquoi pas ? Nous ne
parlions jamais. Pendant 7 ans, nous ne nous sommes pas parlés. Mes centres
d’intérêts étaient si différents des siens ! Mais nous travaillions bien
ensemble. Quel bonheur ! Parfois, j’en pleurais (rentré chez moi) et il
suffisait d’un demi-mot prononcé à mi-voix pour que tout bascule dans le
travail : il était d’une sensibilité extrême — et l’est toujours.
C’est un artiste
extraordinaire, inouï, c’est drôle, je n’en parle jamais.
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