« This is
amazing ! » « You have no idea… » On entend parler américain. Les
milliardaires américains sont là, sur la terrasse. Et moi, je suis juste au-dessus avec mes fenêtres toujours ouvertes. Tout à l’heure je nageais et je regardais, du fleuve, mes fenêtres en haut de la tour –
et il était facile de m’imaginer, pendant que je nageais, à cette fenêtre ; pendant que je nageais
nu je me voyais habillé par cette fenêtre dans cette chambre où j’avais tant
vécu. Synonyme : où il ne s’était rien passé.
Des rois, des courtisans sur
la terrasse, réfugiés… Voulez-vous être prix Nobel ?
Je ne verrai rien du dîner de
gala. Je serai dans ma chambre, je ne sortirai pas. Je ne gênerai pas
l’opération. Il y a plein de livres à l’étage. Que lirai-je ? Un Agatha
Christie ou un James Bond ? 19h52, je n’allume pas la radio au cas où, du
brouhaha américain, se détache quelque phrase importante… Il faut tellement
noircir de papier… « A l’instant, à l’instant… », quelqu’un
dit : « A l’instant… » C’est un oiseau, assurément. J’en ai vu
un beau en nageant, le plus beau de ma vie. C’est-à-dire, voyez-vous le bleu des
libellules ? Plus brillant. Mordoré. Il s’est approché de moi, il a fait
un tour, il voulait voir qui j’étais – ou ce que j’étais. Il m’a donné son cri
aussi, je saurai le reconnaître. C’était vers sept heures. Un peu avant. Les
Américains rient beaucoup, sont heureux. Les femmes surtout. (Les hommes à la
voix plus éteinte ne me parviennent pas.)
Il y a – et je pense à TOUT L'UNIVERS – il y a le cri des oiseaux. Ils appellent. Forêt vierge. Chacun.
Dans le grand livre de l’univers, Olivier Messiaen *. Oui, le
château, les Américains, le Tarn et la forêt.
A cause de temps qui avait
changé, il n’y avait plus de pollen sur le miroir du Tarn. A la place, il y
avait des feuilles. De petites feuilles d’automne émaillaient la surface
comme des étoiles dans le ciel. Mais ce qui était le plus beau, c’est
ceci : comme j’avançais en brasse, je propulsais des
gouttelettes qui se mettaient en boule aussitôt rejointe l’embarcation d’une
feuille. Ces formes toutes rondes de la goutte d'eau pure. Ce que j’aime en me baignant, c’est regarder le miroir qui se déforme à peine
devant moi, regarder le ciel, le château, les arbres se déformer à peine dans
le miroir.
Extraordinaires visages des
milliardaires américains. Tous vieillards, mais si beaux. Bienfaiteurs de
l’humanité. Ils vivent la vie de château. Ils ont réussi leur vie. En pleine
forme ! Je suis sorti pour voir le château illuminé. On a mis des bougies
aux fenêtres. Et puis, sur la façade, des projecteurs en bas des pilastres. Il
faut reconnaître que ça a de la gueule ! On se croirait à Miami. Le
château peut encore se refaire une beauté… Dans le parc, on a
illuminé aussi la plus vieille des façades, mais, là, le spectacle est un peu
gâché à cause du groupe électrogène. Ça tue le romantisme ! Le boucan du groupe électrogène gène, je trouve (je dirais…)
J’ai vu quelques-uns des milliardaires car il y a un endroit où je peux voir
sans être vu. Tous comme sortis d’un tableau. Goya – ou
Vélasquez.
Il me faut, pour voyager,
aller mieux. C’est un voyage que je me promets. Je regarde la route : elle
ne frémit pas. Tout est invisible, inaudible, mais je sais : il s’agit
d’un voyage et ce voyage sera réjouissant. Regarde la route, regarde le fleuve
qui va vers Toulouse, regarde le fleuve qui rejoint la Garonne qui va vers la
mer : voyage. Regarde les oiseaux : sur la route. L’oisiveté :
sur la route. Oui, il me faut
aller mieux pour voyager. Et je voyage et je voyage… La santé – crédible. Et les
aléas qui frémissent. La pluie, la vraie pluie, cette nuit, les aléas. Il est
22h33, est-ce que les milliardaires sont couchés ? Non, bien sûr – j’ai
vérifié – mais ils sont sortis de table. J’ai regardé, par mon œilleton, les smokings. Les rangées de perles. Trop de perles.
Le drame de l’écriture, c’est
qu’on écrit avant d’avoir tout lu. Et qui va lire ? Sommes-nous donc si
nombreux qu’on risquerait d’intéresser une ou deux personnes ? Le drame de
l’écriture, c’est qu’il faut se prendre pour Dieu ou pour
Shakespeare. Ou ne pas écrire (comme Juliette Drouet...)
Et à part tout dire, il n’y a
rien à raconter. Langues des fous ou pas de langue.
« Etait-ce « dernier
règne » ou « campagne » qui fit dévier monsieur de Pujol, mais il eu un accès
de nostalgie. » Sur la nuit, je prends la
santé.
* Abîme des oiseaux.
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