Chez Sagan, ce n’est pas
l’ensemble que j’appréhende, je ne sais pas comment elle fait l’ensemble qui me
semble bien fastidieux – mais comme peut l’être toute idée d’« écrire un
livre », sans doute, à mes yeux –, je laisse cet ensemble, non, ce sont les
trouvailles. Comme, par exemple : « Elle savait que la seule manière
de rassurer quelqu’un, c’était le plaisir partagé. » Comme sur le corps de
sa mère, l’enfant trouve, on
trouve des « trouvailles », comme sur le corps de la mer – ou de la
plage, des bords de la mer. Il y a un poème qui dit à peu près ça – ou une
phrase. Cette phrase est dans ma vie et je m’en souviens – mais je ne vous la
dirais pas. Pas maintenant.
« Il ne faudrait pas
dormir seul. Vivre seul, à la rigueur. Oui, mais pas dormir seul. »
J’ai été lire les journaux à
Rabastens. Les journées vont passer vite. Perrier-orange. Dans les deux
journaux, Claude Régy. Claude Régy dans « Libé », Claude Régy dans
« Le Monde ». Pleine page. On lit beaucoup, on lit beaucoup et, à un
moment donné, on écrit pour rassembler ses lectures. Bien sûr, si on a besoin d’argent, on lit encore
plus pour écrire encore plus vite… L’écriture est une opération du cerveau.
Plaire à la foule. Ou plaire à la non foule. Ce qui est la même chose.
Peut-être. Plaire à une personne à la fois, à la fois… Mon psy déteste l’idée
du blog, tout ce genre de truc. Pour lui, tout doit rester secret,
« jardin secret ». J’essaie de défendre l’entreprise, mollement, sans
le convaincre. Mais qqch soudain le réjouit. Je lui dis que mon père lit le
blog (c’était il y a plusieurs années). « Il disait qu’on écrivait pour
ses parents, contre ses parents. Pour rester leur enfant, pour cesser de
l’être. Il disait les barreaux qu’il faut scier à la lime à ongles pour
s’échapper du domicile conjugal, puis les blessures que l’on s’inflige sur
l’acier aux angles encore vifs lorsque l’on revient, lorsque l’on repart, même
des années plus tard. » Cette phrase est dans le cahier Livres de
« Libé ». Ça tombe bien. Et, à côté, à propos de Modiano :
« Il feint de partir sur les traces d’un secret : il se préoccupe
surtout de rendre perceptible le brouillard. Il ramène le passé dans le
présent, et vice-versa, se faufilant par « les brèches du
temps ». » De Claude Régy, j’ai retenu ça : « Je rapproche
« sacré » de « secret ». Ce que chacun entend
intérieurement à partir d’une phrase obscure, personne ne peut le dire, pas même
celui qui l’éprouve. J’y crois de plus en plus, j’entends de plus en plus cette
chose qui est la poésie, finalement, qui ne s’obtient qu’en demeurant dans
l’inexprimable. D’où l’importance d’un contact intime, pour que celui qui écrit
parle à l’oreille de celui qui écoute. » Et savez-vous avec qui je parle,
moi ? Avec Pierre Courcelle, avec Olivier Steiner, avec Baptiste Kubich…
Quelques garçons, peu de filles, c’est vrai… Je suis toujours sur le corps de
ma mère – à guetter les trouvailles.
Non, je ne vais pas chercher
Dieu nulle part, non je ne vais pas… Non, je me contente de fastidieux châteaux
et de délicieuses trouvailles – on se baigne au-dessus du temps. Il est
possible qu’un jour, j’essaie les monastères… Adolescent, ça me semblait
chouette. Depuis, j’ai fui… Mais Benoît me parle avec tant d’enthousiasme du
couvent de la Tourette construit par Le Corbusier et peuplé d’homosexuels
(« exclusivement », m'a-t-il dit) que cela me paraît à voir… A côté, enfin, pas
loin, la maison du Chaos de je ne sais qui, un type connu, dans un village
charmant. Ça, aussi, à voir. Dieu ne peut pas exister ailleurs qu’ici, c’est
pour moi une évidence. La profondeur, c’est la profondeur du temps. Par
exemple, ici… je l’ai écrit quelque part… : « Ce château est une ville, une
ville pleine de morts. » Je l’avais écrit sur un journal, un bout de
journal... Il y a une telle énigme, une telle énigme de l’existence – pourquoi y
mêler Dieu ?
Le château a été cambriolé.
On a emporté quatre horloges et je ne sais quoi. « Tout ça est parti dans
les Emirats arabes… », soupire Babeth. « C’est pour ça qu’on demande
maintenant aux visiteurs de ne pas prendre de photos. On avait essayé les
alarmes, mais c’était impossible, chaque vol de chauve-souris les déclenchait... » Je demande à Babeth quels sont ces caquètements d’oiseaux que l’on entend. Elle
ne sait pas. Des canards ? « Ah, il y en a, vous regarderez… »
Nous sommes ici à mi-distance, à peu près, entre Albi et Toulouse, sur le Tarn.
Il y a des canards, en ce moment, des canards sur le Tarn. « Vous
regarderez… »
En allant chez Babeth – qui a
la wifi – et en montant dans son pigeonnier-bureau plein de livres et plus
habité que mon château (à propos : et cette bibliothèque dont Sophie me disait
que j’y aurais accès ?), j’ai été retenu – sensuellement – par l’album de
Tintin, Les sept boules de cristal,
j’ai failli demander à Babeth de me le prêter. L’enfance,
l’enfance qu’il faut toujours revivre.
Imaginez-vous malade. Vous
êtes dans un château, vous avez une névrose. Je voulais dire
« morose ». Vous êtes dans un château en bois de rose*. Mélancolique,
si vous voulez. (Ça plaît.) Vous vous demandez de quoi demain sera fait. Et
vous goûtez le temps suspendu de l’écran. Château. Châ…-teau… ! Ça
résonne. Les longs espaces délabrés d’idées à encorbellement.
D’ailleurs, voilà, elle parle
justement de ces phrases que l’on retient dans ses livres ou dans les autres et
elle dit – elle dit que c’est le fruit du hasard – : « Mais, là,
il me semble toujours que cette phrase, ce projectile affectif a été tiré par
moi au hasard, comme par un fusil au canon coudé, et que j’en suis aussi peu
responsable que de l’air du temps. » Et, sur le hasard, bien sûr
(redite, mais enfin) : « Parfois on a de la chance, et parfois on
n’en a pas. Toute biographie tient du hasard et, dès le début de la vie, tout relève du
hasard, de la tyrannie de la contingence » (de Philip Roth, aussi dans
« Libération »). CQFD.
* Rosewood.
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