Monday, October 08, 2012

« Le sablier de la terre et du ciel se renverser »



La vérité de ma vie, ce n’est pas ce roman. C’est cette table sur laquelle je jette, du lit, mes vêtements. Cette table sur laquelle je ne travaille pas, mais où j’ai mimé, pour Babeth, le travail – car elle était partie chercher une chaise à ma taille, trouvant celles de la chambre trop basses. « Et, là, vous êtes bien sur cette table, vous pourrez travailler ? – Sur cette table, je pourrais écrire les Mémoires d’outre-tombe ! » Mais, non, je travaille au lit. Je suis un grand malade. Comme Proust !
Cela m’amuse, les aléas de la vie... Et que, dans ma vie, il ne se passe rien. La psychologie est dérisoire tant que j’atteins, chaque fois, cette table, à chacun de mes lancers... Et les ombres et les murs… Et le regard fatal de la grande armoire… La vie de famille inquiète et sûre. La découpe des vides. Le château au-dessus de la région. Le bruit du barrage sur le Tarn, lancinant. Les dates. Dater sa vie. Vendredi. « Quelques événements, quelques moments, quelques biographèmes (jusqu’aux plus dérisoires parfois). » L’interminable aventurier qui habitait ce château… Secret et vertige…



La vie quotidienne de notre Seigneur Jésus-Christ – auquel personne ne croit, mais qui écrit sa vie… Oui, le bruit de cette grande mer qui va jusqu'au-delà des pôles, de l’autre côté de la terre…
Jusqu’à Madagascar, jusqu’à l’Île Maurice, jusqu’à la prison, là-bas, au fond.
Un paysan s’arrête de traire ses vaches et crie : « La terre est bleue comme une orange ! »

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Les Frisons



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Nocturne



Comme toutes les nuits, je pense à tous les petits animaux qui dorment autour de ce château… Comme toutes les nuits, je pense… C’est le mot « chats-huants » qui, maintenant, dans le texte, m’y fait penser… Ce à quoi je pense maintenant, c’est aussi à la journée. Toutes ces petites maisons découvertes, autour de ce château. Ces rares personnages, parfois, devant ces maisons, affairés, désœuvrés. Je pense aussi à l’accident de 1970, le fleuve qui avait emporté la terrasse… Ç’avait été terrible. On n’a jamais réparé. On a rafistolé avec du béton. Du « ciment », dit Babeth. Mais, enfin, la terrasse, la terrasse  18ème… Et puis une phrase de Sagan, importante. « La schizophrénie, chauve-souris (calva sorices), volait bas, cette année-là. » C'est la deuxième occurence du mot « chauve-souris » dans le roman. Je ne sais pas ce que c’est qu’un chat-huant. La différence entre moi et Sagan : elle aime beaucoup les gens. Moi, non. Ça l’intéresse, la psychologie. Ou alors il faudrait que je m’y mette. Enfant du Nouveau Roman, ça m’a échappé. Mais, maintenant qu’on dit que le Nouveau Roman est nul, il faut que je m’y mette. C’est étrange, ce qui m’arrive, ces actrices, Anne, Sophie * dont je ne savais rien, le minimum, vous êtes disponibles ? mon travail résonne pour vous ? je trouve que vous le faites bien, ça me va, j’aime votre amitié, j’aime que vous soyez là – voilà maintenant que l’on me parle d’elles, sa tante, sa grand-mère. Elles en ont des choses à me dire, ces femmes, sur ces inconnues qu’elles connaissent très bien. Elles en connaissent la psychologie. Mais ce n’est pas vraiment moi ni vraiment elles. Nous savons, elles et moi, Anne et moi, Sophie et moi. Le voilà, mon « jardin secret » et de plus en plus secret. Ce n’est pas ce blog, certes, c'est le théâtre. Le secret le mieux partagé du monde – c’est le THEATRE. 








* Anne Issermann, Sophie O’Byrne.

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De ma fenêtre




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L’Unic Hôtel



Chez Sagan, ce n’est pas l’ensemble que j’appréhende, je ne sais pas comment elle fait l’ensemble qui me semble bien fastidieux – mais comme peut l’être toute idée d’« écrire un livre », sans doute, à mes yeux –, je laisse cet ensemble, non, ce sont les trouvailles. Comme, par exemple : « Elle savait que la seule manière de rassurer quelqu’un, c’était le plaisir partagé. » Comme sur le corps de sa mère, l’enfant trouve, on trouve des « trouvailles », comme sur le corps de la mer – ou de la plage, des bords de la mer. Il y a un poème qui dit à peu près ça – ou une phrase. Cette phrase est dans ma vie et je m’en souviens – mais je ne vous la dirais pas. Pas maintenant.

« Il ne faudrait pas dormir seul. Vivre seul, à la rigueur. Oui, mais pas dormir seul. »

J’ai été lire les journaux à Rabastens. Les journées vont passer vite. Perrier-orange. Dans les deux journaux, Claude Régy. Claude Régy dans « Libé », Claude Régy dans « Le Monde ». Pleine page. On lit beaucoup, on lit beaucoup et, à un moment donné, on écrit pour rassembler ses lectures. Bien sûr, si on a besoin d’argent, on lit encore plus pour écrire encore plus vite… L’écriture est une opération du cerveau. Plaire à la foule. Ou plaire à la non foule. Ce qui est la même chose. Peut-être. Plaire à une personne à la fois, à la fois… Mon psy déteste l’idée du blog, tout ce genre de truc. Pour lui, tout doit rester secret, « jardin secret ». J’essaie de défendre l’entreprise, mollement, sans le convaincre. Mais qqch soudain le réjouit. Je lui dis que mon père lit le blog (c’était il y a plusieurs années). « Il disait qu’on écrivait pour ses parents, contre ses parents. Pour rester leur enfant, pour cesser de l’être. Il disait les barreaux qu’il faut scier à la lime à ongles pour s’échapper du domicile conjugal, puis les blessures que l’on s’inflige sur l’acier aux angles encore vifs lorsque l’on revient, lorsque l’on repart, même des années plus tard. » Cette phrase est dans le cahier Livres de « Libé ». Ça tombe bien. Et, à côté, à propos de Modiano : « Il feint de partir sur les traces d’un secret : il se préoccupe surtout de rendre perceptible le brouillard. Il ramène le passé dans le présent, et vice-versa, se faufilant par « les brèches du temps ». » De Claude Régy, j’ai retenu ça : « Je rapproche « sacré » de « secret ». Ce que chacun entend intérieurement à partir d’une phrase obscure, personne ne peut le dire, pas même celui qui l’éprouve. J’y crois de plus en plus, j’entends de plus en plus cette chose qui est la poésie, finalement, qui ne s’obtient qu’en demeurant dans l’inexprimable. D’où l’importance d’un contact intime, pour que celui qui écrit parle à l’oreille de celui qui écoute. » Et savez-vous avec qui je parle, moi ? Avec Pierre Courcelle, avec Olivier Steiner, avec Baptiste Kubich… Quelques garçons, peu de filles, c’est vrai… Je suis toujours sur le corps de ma mère – à guetter les trouvailles.

Non, je ne vais pas chercher Dieu nulle part, non je ne vais pas… Non, je me contente de fastidieux châteaux et de délicieuses trouvailles – on se baigne au-dessus du temps. Il est possible qu’un jour, j’essaie les monastères… Adolescent, ça me semblait chouette. Depuis, j’ai fui… Mais Benoît me parle avec tant d’enthousiasme du couvent de la Tourette construit par Le Corbusier et peuplé d’homosexuels (« exclusivement », m'a-t-il dit) que cela me paraît à voir… A côté, enfin, pas loin, la maison du Chaos de je ne sais qui, un type connu, dans un village charmant. Ça, aussi, à voir. Dieu ne peut pas exister ailleurs qu’ici, c’est pour moi une évidence. La profondeur, c’est la profondeur du temps. Par exemple, ici… je l’ai écrit quelque part… : « Ce château est une ville, une ville pleine de morts. » Je l’avais écrit sur un journal, un bout de journal... Il y a une telle énigme, une telle énigme de l’existence – pourquoi y mêler Dieu ?

Le château a été cambriolé. On a emporté quatre horloges et je ne sais quoi. « Tout ça est parti dans les Emirats arabes… », soupire Babeth. « C’est pour ça qu’on demande maintenant aux visiteurs de ne pas prendre de photos. On avait essayé les alarmes, mais c’était impossible, chaque vol de chauve-souris les déclenchait... » Je demande à Babeth quels sont ces caquètements d’oiseaux que l’on entend. Elle ne sait pas. Des canards ? « Ah, il y en a, vous regarderez… » Nous sommes ici à mi-distance, à peu près, entre Albi et Toulouse, sur le Tarn. Il y a des canards, en ce moment, des canards sur le Tarn. « Vous regarderez… »
En allant chez Babeth – qui a la wifi – et en montant dans son pigeonnier-bureau plein de livres et plus habité que mon château (à propos : et cette bibliothèque dont Sophie me disait que j’y aurais accès ?), j’ai été retenu – sensuellement – par l’album de Tintin, Les sept boules de cristal, j’ai failli demander à Babeth de me le prêter. L’enfance, l’enfance qu’il faut toujours revivre.

Imaginez-vous malade. Vous êtes dans un château, vous avez une névrose. Je voulais dire « morose ». Vous êtes dans un château en bois de rose*. Mélancolique, si vous voulez. (Ça plaît.) Vous vous demandez de quoi demain sera fait. Et vous goûtez le temps suspendu de l’écran. Château. Châ…-teau… ! Ça résonne. Les longs espaces délabrés d’idées à encorbellement.

D’ailleurs, voilà, elle parle justement de ces phrases que l’on retient dans ses livres ou dans les autres et elle dit – elle dit que c’est le fruit du hasard – : « Mais, là, il me semble toujours que cette phrase, ce projectile affectif a été tiré par moi au hasard, comme par un fusil au canon coudé, et que j’en suis aussi peu responsable que de l’air du temps. » Et, sur le hasard, bien sûr (redite, mais enfin) : « Parfois on a de la chance, et parfois on n’en a pas. Toute biographie tient du hasard et, dès le début de la vie, tout relève du hasard, de la tyrannie de la contingence » (de Philip Roth, aussi dans « Libération »). CQFD.






* Rosewood.

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