Théâtre de l’Incendie
Je n’avais jamais vu de Demarcy-Mota et comme personne ne m’en avait parlé, je pensais que ça ne valait rien. Avant d’entrer dans la salle, j’avais eu le temps de lire dans un livre ouvert au hasard ces 2 phrases d’Antonin Artaud possiblement en rapport avec la pièce (car il l’a montée) : « On a voulu épuiser le côté tremblant et qui s’effrite, non seulement du sentiment, mais de la pensée humaine. Mettre au jour l’antithèse profonde et éternelle entre l’asservissement de notre état et de nos fonctions matérielles et notre qualité d’intelligence pure et de purs esprits. » Bref, la pièce est génialissime, autant le dire tout de suite. Au bout de 10 mn de Victor ou les enfants au pouvoir, quelqu’un sortait de la salle (un rebeu, je crois) avec un sweat blanc immaculé marqué MISERICORDE (avant de disparaître dans le noir) — peut-être était-ce dans le spectacle ? Au bout de 10 mn de spectacle aussi, il y avait des comédiens qui s’ébattaient dans une piscine, un bassin, ce qui m’a rendu particulièrement heureux. « Oh, pensais-je, comme j’aimerais offrir à mes comédiens une piscine dans laquelle s’ébattre ! Quel spectacle merveilleux ce serait et comme ils seraient heureux ! » Emmanuel Demarcy-Mota m’a dit après qu’il avait rajouté ce bassin parce qu’il voulait faire entrer de la nature dans cette pièce surréaliste qui, normalement, se joue dans un salon bourgeois. Il a bien eu raison ! (Un bassin d’eau chaude, j’ai mis le doigt dedans à la fin du spectacle.) J’aimerais aussi offrir à mes comédiens, un jour, un banquet (mais ça, c’est une idée ancienne plus facilement réalisable). Bref, J’AIMERAIS OFFRIR A MES COMEDIENS ! C’est ce que montre ce spectacle : que le metteur en scène l’OFFRE à ses comédiens. Hugues Quester joue un fou, mais on le croit (un peu comme Gérard Depardieu quand il joue une ordure). Il est très drôle. Il hurle soudain : « Des cochons ! Des cochons ! Des cochons ! » en portant de fausses bougies, en cassant de faux vases, en donnant de fausses gifles, mais avec des vrais masques de leur vrais visages, les comédiens. Quelqu’un dit et c’est une phrase culte : « Les petits veaux valent mieux que vos petits. » Mais Hugues Quester me donne un avenir : faire le fou sur scène, le vieux fou, c’est un avenir, un avenir attirant. L’arbre descend du ciel et on ne voit que ses racines et elles sont belles comme des cheveux, comme l’amour, et on tue les éléphants pour l’ivoire, elles sont belles comme l’Ardèche. Je ne savais pas que c’était la première, une amie m’avait invité, et, quand je l’ai su, je me suis étonné d’avoir vu alors des comédiens dans leur pleine confiance. Mais les comédiens avaient déjà joué la pièce, il s’agit d’un retravail, réinvesti pour aller plus loin, pour chercher encore (comme me l’a expliqué Emmanuel Demarcy-Mota). Des comédiens sans peur, c’est toujours la merveille. Ils ont confiance aussi car leur metteur en scène est l’un des hommes les plus puissants de France, peut-être le plus puissant actuellement. Vous connaissez la célèbre phrase de Klaus Michael Grüber ? « Les comédiens sont capables de choses merveilleuses, mais ils ont tellement peur, tout le travail consiste à calmer leur peur. » Il y a des trucs hyper bien fait ! Le coup de la chaise qui se disloque et avec laquelle Hugues Quester se fait une moustache, une prison — comment ne pas penser qu’il improvise ? Il y a une scène de chambre à coucher inénarrable. N'était-ce pas Marlène qui me parlait de ce peuple très belliqueux (dans Star Trek) qui se retrouvait à l’hôpital chaque fois qu’il faisait l’amour ? « Des vases en morceaux, des couteaux sur la cheminée... » Très bien aussi les faux pets qui sortent des coulisses tandis que l’actrice... Dans cette déglingue, ça marche ! On se croirait à la Ménagerie de verre ! (Il faut dire que j’étais au 2ième rang.) Bref, une pièce débile, loufoque, mais pleine d’énergie ! Roger Vitrac appelait son théâtre, Théâtre de l’Incendie (pendant du Théâtre de la Cruauté d’Antonin Artaud). A la réplique : « Et l’enfance est toujours coupable, de nos jours ; la sainte enfance », quelqu’un a applaudi. C’était des applaudissements de femme — et d’une femme petite, je dirais. Ça aussi, était-ce ou non dans le spectacle ? (Seul bémol : On n’a qu’une bouche pour rigoler et j’ai toujours mal au cul au théâtre, voilà !)
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